Depuis le début de la guerre en Ukraine, les digues sautent une à une. Ce qui était impossible hier devient aujourd’hui indispensable. Deux semaines après le début de l’invasion de l’Ukraine par Poutine et son armée, l’ensemble de la classe politique française semble se réveiller et appelle à réduire la consommation d’énergies fossiles. Le mot est lâché : sobriété.
Des années que les « écolos » le répètent, malgré les moqueries, insultes, diffamations et procès d’intention. Auraient-ils finalement raison ?
Les énergies fossiles gangrènent le monde
Stupéfaction chez certains politiques et salles de rédaction. Depuis le 24 février 2022 et l’invasion de l’Ukraine par le gouvernement russe, il semblerait que les dangers de notre civilisation ne soient plus le wokisme, les féministes, les musulmans ou les écolos.
Jusqu’à aujourd’hui, consommer à outrance des énergies fossiles ne posait pas vraiment de problème aux dirigeants de ce monde. Réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, marées noires, des millions de morts de pollution, financement de guerres, etc. Tout cela était acceptable. Mais cette fois, c’est différent. Vladimir Poutine a envahi l’Ukraine, et nous occidentaux, allons directement en pâtir.
Certains semblent découvrir en 2022 que Poutine est un dangereux psychopathe, un dictateur qui ne recule devant rien. Un homme qui n’hésite pas à tuer les journalistes ou emprisonner les opposants qui contestent sa politique. C’est au mieux de la bêtise, sinon une vraie hypocrisie. Poutine a bénéficié d’une extraordinaire complaisance depuis au moins 15 ans.
Les milliardaires russes se pavanent sur la côte d’Azur dans leur yacht, dans nos stations de ski, à Paris dans des villas et appartements tous plus luxueux les uns que les autres. Comment se sont-ils payés tout cela ? Le fruit de leur dur labeur ? Pas vraiment. Nous, occidentaux aujourd’hui offusqués et choqués, avons financé Poutine et ses amis à coup de milliards pendant deux décennies. Nous, occidentaux, avons permis à Poutine d’acquérir une telle force de nuisance par notre dépendance aux énergies fossiles.
L’hypocrisie must go on
C’est d’ailleurs dans l’hypocrisie la plus totale que nous continuons depuis le début de la guerre à donner des centaines de millions chaque jour au pouvoir russe en lui achetant du gaz et du pétrole. Nos politiques refusent de prendre des mesures strictes, au risque de froisser leurs électeurs, pendant que des enfants, femmes et hommes meurent ou fuient leur pays.
Javier Blas avait annoncé dès le 23 février que l’Union Européenne achetait quotidiennement pour environ 700M de dollars d’énergies fossiles à la Russie. Vous avez bien lu. Quotidiennement. Depuis le début du conflit, nous continuons d’acheter pour des centaines de millions d’énergies fossiles, qui financent directement la puissance de Poutine et la guerre qu’il a décidé de mener à l’Ukraine.
Vous verrez les mêmes discours chez certaines entreprises qui continuent leurs activités lucratives dans les énergies fossiles, main dans la main avec les oligarques russes. Les banques françaises sont peut-être ce qu’il y a de pire en terme d’hypocrisie. C’est ainsi qu’une semaine après le début de la guerre, le Crédit Agricole communiquait la main sur le cœur qu’il allait créer un fond de solidarité d’urgence pour leurs collègues ukrainiens. Quelle générosité !
Ce serait oublier que le Crédit Agricole finance des activités fossiles en Russie pour plusieurs milliards, avec des records ces dernières années, et dont l’un des clients principaux est… Gazprom. 10 millions d’un côté pour se donner bonne conscience, des milliards chaque année qui ont armé Poutine et anéantissent littéralement l’avenir de millions de personnes sur Terre. Comment appeler cela, « war washing » ?
Cette banque est loin d’être la seule. BNP est dans le même cas. Société Générale est dans le même cas. Total, client de ces 3 banques et pseudo acteur de la transition écologique, continue ses activités en Russie et Arctique alors même que d’autres pétroliers ont réduit leurs activités. « Pas de pression de la part des plus hautes autorités françaises pour quitter la Russie », a déclaré le PDG de TotalEnergies. Traduisez : Emmanuel Macron pourrait prendre des décisions politiques fortes, mais en même temps, c’est Emmanuel Macron. Les morts de la guerre attendront.
Les Ukrainiens et les autres
Dans le Monde, Serge Haroche déclare qu’en coupant le gaz et le pétrole russes, nous allons certes avoir plus froid, mais nous « pourrons nous regarder en face avec moins de honte« . Il semblerait que la question morale soit enfin posée. Dans d’autres cas de figure, nous pouvions nous regarder dans la glace sans trop de honte. Mais là, c’est « différent« .
Avec potentiellement 3.3 milliards de personnes touchées par les aléas climatiques, ce n’était pas honteux de carburer aux énergies fossiles. Lorsque les dirigeants des pays du Nord hypothèquent notre avenir et celui de nos enfants, ce n’est pas honteux.
Quand l’Arabie Saoudite, l’un des plus importants producteurs mondiaux d’hydrocarbures tue des enfants yéménites depuis 6 ans avec des armes françaises, ce n’est pas honteux. Quand les Etats-Unis, grand donneur de leçon de démocratie depuis 2 semaines et plus grand pays impérialiste des dernières décennies, envahissent des pays, pillent et tuent avec des pratiques aussi mafieuses que celles de Vladimir Poutine, ce n’est pas si honteux.
Vous voyez, il y a la bonne et la mauvaise énergie fossile, comme il y a le bon et le mauvais migrant. Le mauvais migrant, il est en Afghanistan ou en Syrie, y a la guerre dans son pays, il se tire mais c’est un mauvais migrant. Le bon migrant, il est en Ukraine, y a la guerre dans son pays, il se tire, mais c’est un bon migrant.
Qui sont les vrais extrémistes ?
Il est enfin temps de prendre de la hauteur et de se demander sur quoi repose le confort occidental, grâce à qui, aux dépens de qui, et avec quelles conséquences.
La France, grâce à ses colonies, ses industries à l’éthique douteuse, ses ex présidents va-t-en-guerre et son mix énergétique dépendant très largement des énergies fossiles, n’a à vrai dire aucune leçon de morale à donner.
Les énergies fossiles sont majoritaires dans le mix énergétique français.
Maintenant que nous avons rappelé que « l’impérialisme carbure encore et toujours aux énergies fossiles », sortir du déni collectif est une question de survie. Les militant(e)s écologistes sont-ils/elles toujours des extrémistes en demandant de réduire drastiquement la consommation d’énergies fossiles et de tendre vers une sobriété énergétique ?
Qui sont les extrémistes ? Le GIEC qui rappelle qu’il n’y aura pas de transition écologique sans justice sociale, ou les dirigeants européens qui ferment les yeux sur les 11300 milliards des Pandora Papers et qui se présentent comme des héros lorsqu’ils saisissent 3 yachts d’oligarques russes sur la côté d’Azur ?
Qui sont les extrémistes ? l’AIE qui encourage celles et ceux qui le peuvent à baisser un peu leur thermostat, qui appelle à ne plus investir dans les énergies fossiles, ou les Etats qui bloquent les négociations diplomatiques par peur de froisser leurs électeurs, pendant que les morts s’accumulent en Ukraine ?
Impossible n’est plus une excuse
Ce volte-face des politiques français sur la sortie des énergies fossiles et la sobriété nous rappelle une chose : tout est une question de volonté politique.
George Monbiot le rappelle très justement cette semaine dans le Guardian :
- "Lorsque les États-Unis ont rejoint la Seconde Guerre mondiale, ils sont passés d’une économie essentiellement civile à une économie militaire dans un laps de temps similaire. L’industrie manufacturière, les services, l’administration : tous ont été complètement réorganisés. Presque tout le monde, d’une manière ou d’une autre, a été mobilisé pour soutenir l’effort de guerre. Le gouvernement fédéral a dépensé plus d’argent entre 1942 et 1945 qu’entre 1789 et 1941."
La France est un pays riche et a très largement les moyens d’assurer une transition rapide et juste. Si ce n’est pas fait, ce n’est pas par manque de moyens, mais par manque de volonté politique. Si nous sommes aujourd’hui cruellement dépendants des énergies fossiles russes, c’est en très grande partie à cause de choix politiques désastreux. Très en retard dans la rénovation énergétique des logements, très en retard dans la transition de la décarbonation des transports, et plus globalement dans tous ses objectifs climatiques.
Certes, si le gouvernement Macron arrêtait de se comporter comme un BDE d’école de commerce dont la seule ambition est de multiplier les followers sur Tiktok, les Français ne souffriraient pas autant des variations de prix des matières premières. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. Pour assurer une transition juste, et au lieu de faire porter uniquement les conséquences sur les ménages les plus précaires, Bruno le Maire pourrait par exemple demander des comptes aux 600 français listés dans les Pandora Papers et/ou aller chercher les (minimum) 60 milliards d’évasion fiscale chaque année en France ?
Est-ce que ce sera suffisant ?
« Il faut sortir des énergies fossiles pour arrêter les guerres ». Voici ce que nous pouvons lire et entendre depuis deux semaines. Ce serait effectivement une très bonne nouvelle, mais cependant insuffisant.
Ce qu’il faut, c’est réduire la consommation d’énergie, l’extractivisme. Sinon, les guerres continueront pour d’autres matières premières, comme le cobalt, le cuivre, l’uranium, etc. Ce qu’il faut, c’est mettre fin au colonialisme sous toutes ses formes. Ça semble dur à comprendre pour certains, mais c’est un prérequis pour une société soutenable. Le GIEC vient de le rappeler.
Ce qu’il faut, c’est mettre fin à l’impérialisme, qu’il soit politique ou économique. Vœu pieux ? Comment y arriver ? Les faits explicités précédemment et la concentration de pouvoir mènent à cela. Ce n’est qu’en sortant de ces économies ultra capitalistiques qui ne profitent qu’à quelques personnes qu’une certaine stabilité en France et dans le monde pourra être possible.
Le mot de la fin
Il aura fallu qu’une guerre éclate pour qu’on entende moins parler des dernières frasques de Zemmour et un peu plus de sujets fondamentaux : l’énergie, l’indépendance énergétique française, la place et le rôle des énergies fossiles dans l’échiquier géopolitique international.
Les énergies fossiles tuent et continueront de tuer si nous ne mettons pas un terme à leur consommation outrancière. Pour les Ukrainiens, pour le climat, et pour toutes les guerres qui ont eu lieu et auront lieu si nous n’arrêtons pas. Nous avons l’obligation morale d’agir. La décroissance ou la guerre titrait Vincent Liegey, qui accueille à Budapest des réfugiés venus d’Ukraine depuis deux semaines :
- "Je vous invite à Budapest à accueillir avec nous tous les jours femmes et enfants qui fuient les conséquences d’un modèle civilisationnel qui nous pousse à la barbarie. Non, je ne suis pas heureux que la décroissance politique ait échoué face à la fuite en avant libérale, capitaliste et productiviste et d’être aujourd’hui face à cette tragédie aussi prévisible que prévue. J’aurais préféré que l’on choisisse la sobriété et le partage avant qu’il ne soit trop tard."
Pour agir et sauver des vies, il ne manque que la volonté politique. Aucun citoyen(ne), notamment les plus aisé(e)s, ne peut continuer à vivre comme si tout cela n’arrivait qu’aux autres et que nous n’étions pas responsables. Nous le sommes, de façon différenciée. Aux politiques d’aligner la parole aux actes et d’arrêter de mentir aux Français.
Nous avons les moyens de réduire très rapidement notre dépendance aux hydrocarbures russes. Nous avons les moyens de sortir des énergies fossiles, vœu désormais formulé par l’ensemble des politiques français. La planification énergétique n’est plus un gros mot mais une obligation. Cela ne se fera pas sans contrepartie, c’est certain. Aussi certain que si nous ne changeons pas, il y aura d’autres guerres et nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas.
Article paru sur le site Bon Pote, le 11 mars 2022 := https://bonpote.com/sortir-des-energies-fossiles-quand-limpossible-devient-lindispensable/