La France est dans une situation particulière. C’est le pays le plus nucléarisé au monde et celui qui s’accroche encore le plus à cette énergie. Depuis 50 ans, aucun dirigeant français n’a remis en cause ce mythe national. Aujourd’hui les dérèglements climatiques sont un alibi bienvenu pour l’énergie atomique et son statut d’énergie "n’émettant pas de CO2". D’un autre côté nos dirigeant parlent tous de développer les renouvelables. Mais renouvelables ET nucléaire, est-ce possible ?
- Avril 2011 : manifestation devant la centrale de Braud Saint-Louis
Trois documents pour éclairer - ni à la bougie ni à l’énergie atomique - votre lanterne :
- Une étude récente sur les politiques énergétiques de 123 pays ces 25 dernières années, publiée dans la revue internationale Nature, analyse la question et y apporte une réponse sans appel. Cette étude n’a pas comparé une énergie à une autre, mais a pris en compte le résultat global du mix énergétique de chaque pays. Comme le nucléaire a tendance à évincer les renouvelables qui ont le meilleur rendement en CO2, le bilan des pays qui misent sur le nucléaire est finalement moins bon. Une sacrée remise en question du sacro-saint discours officiel français !
- Une interview d’Amory Lovins, un des spécialistes sur l’énergie les plus reconnus mondialement. Là aussi, c’est une sacrée claque pour les sornettes qui sont assénées à longueur d’années en France. Il rappelle par exemple que ceux qui critiquent les renouvelables pour leur caractère intermittent, oublient de dire qu’en France, une centrale nucléaire est en moyenne à l’arrêt 90 jours par an ! Il démonte aussi toute la désinformation sur l’Allemagne : grâce à des économies d’énergie et les renouvelables, l’Allemagne a réduit de 75 TWh sa production nucléaire et de 131 TWH sa production à partir d’énergie fossiles ! Et plein d’autres choses encore. Une vraie bouffée d’air frais !!
- https://www.wedemain.fr/dechiffrer/amory-lovins-poursuivre-le-nucleaire-est-une-folie/
- Et finalement 3 articles de Reporterre sur Jean-Marc Jancovici dont une bonne partie des "thèses" ont été démontées précédemment par Lovins. Ce polytechnicien fait un bon travail de vulgarisation sur la question climatique. Par contre, comme il est omniprésent sur les plateaux et dans les media, son parti-pris anti-renouvelables et son obsession pour le nucléaire influencent fortement le débat en France. Hervé Kempf de Reporterre a senti le besoin d’enquêter sur ce personnage et publié trois articles.
- "On ne parle pas assez du génie de Jean-Marc Jancovici"
- Jean-Marc Jancovici : "Je ne suis pas un scientifique".
- "Jean-Marc Jancovici, polytechnicien réactionnaire"
RAPPELS
Nucléaire et bombe atomique
Le nucléaire a été développé dans les pays qui ont les premiers eu la bombe atomique : France, Royaume-Uni, Etats-Unis, Union Soviétique. Le lien entre nucléaire civil et militaire est plus qu’étroit. Lorsque notre spécialiste mondial français du bilan carbone, Jean-Marc Jancovici, préconise la construction de centaines, voire de quelques milliers de centrales atomiques dans le monde, c’est d’une irresponsabilité totale.
De plus, l’atome civil n’a pas été développé pour lutter contre les changements climatiques. A l’époque, à part quelques scientifiques et écologistes, tout le monde s’en moquait comme de sa première ampoule électrique. Le nucléaire a été développé pour fournir une énergie abondante. Giscard d’Estaing fanfaronnait à l’époque : "Grâce au nucléaire, la France disposera d’une quantité d’énergie égale à deux fois les réserves de pétrole de l’Arabie Saoudite".
Grâce au nucléaire on a a pu mettre en place une économie basée sur le gaspillage de l’énergie, l’épuisement des matières premières et la destruction des ressources naturelles : eau, air, sols, océans, forêts, biodiversité, etc... Aujourd’hui l’objectif est atteint : on a à gérer la crise écologique et comme si ça suffisait pas, l’héritage nucléaire.
Lorsque les écologistes luttaient contre le nucléaire dans les années 70/80, ils luttaient pour une société sobre et pour la croissance zéro, exactement l’inverse de ce que prônaient les pro-nucléaires. Les écologistes prônaient l’autonomie énergétiques des citoyens par des unités de production décentralisées et proches des citoyens. Des citoyens autonomes ? Un cauchemar pour les élites politiques et les technocrates de ce pays à qui le nucléaire fournissait un outil contrôlé centralement, nécessitant aussi pour des raisons de sécurité évidentes la surveillance des citoyens... Un tout autre projet de société.
Mon cher nucléaire !
Contrairement au refrain "Le nucléaire, c’est l’énergie la moins chère", il est bon de rappeler que EDF a déjà une dette qui se chiffre à plusieurs milliards d’euros. A cela s’ajoute le chantier de l’EPR de Flamanville. Il devait coûter 3,5 milliards, il coûtera au moins 11 milliards ! Le chantier de l’EPR finlandais est un gouffre financier tout comme celui de Hinkley Point en Angleterre (EDF a une participation financière dans ces projets). Pour pouvoir allonger la vie des centrales atomiques, EDF va procéder à une opération appelée le "grand carénage". Coût chiffré par EDF 40 milliards, par la Cour des Comptes 80 milliards et par d’autres experts bien plus encore. Un maillon essentiel du nucléaire français est le centre de retraitement de La Hague qui vieillit très, très mal. Combien de milliards coûtera sa remise en état ?
- Passage à Capbreton en 2004, de la tournée européenne du dinosaure des Amis de la Terre Europe. Slogan : "Ni nucléaire, ni effet de serre, changeons d’ère !"
A cette addition déjà sacrément salée, s’ajoute la gestion et la surveillance des déchets nucléaires pendant des... milliers d’années et le démantèlement des centrales en fin de vie. Le démantèlement de la centrale bretonne de Brennilis qui n’a fonctionné que 18 ans, devrait durer 47 ans et être terminé en... 2032 ! Même si ce n’est pas le même type de réacteur que le reste du parc atomique français, ça donne une idée du chantier. Combien de milliards vont encore être engloutis dans ces opérations ?! Que va coûter la gestion des quantités énormes de matériaux irradiés ?
Et bien sûr, on évoque même pas le coût financier d’un accident... ou la proposition de Jancovici - toujours lui ! - de relancer la filière des surgénérateurs Superphoenix ! (le surgénérateur de Malville mis en service en 1985 avait coûté 22 milliards de francs de l’époque...)
Ce sera nucléaire OU renouvelables, pas les deux
Face à la mobilisation de telles sommes d’argent, comment peut-on croire que l’on pourra rafistoler notre parc atomique et développer parallèlement les énergies renouvelables ? Ce n’est pas possible et ça ne devrait surprendre personne, car en France l’avènement du nucléaire a sonné déjà une fois la mort de filières renouvelables innovantes et pionnières.
Les moins jeunes se rappelleront du four solaire d’Odeillo, inauguré en 1969 et qui produisait un mégawatt. C’était le plus grand four solaire au monde et la France était pionnière. Avec le développement du nucléaire, la filière solaire a été abandonnée. Dans les années 60, l’usine marée-motrice de la Rance était mise en service. Là aussi la France était pionnière. Cette filière aussi a été victime du nucléaire. Le nucléaire a été un frein à l’innovation et à la diversification des sources d’énergie tout comme il est encore aujourd’hui un frein à la transition vers d’autres énergies...
Crise écologique et crise climatique
Pour terminer, il est important de rappeler que la crise n’est pas QUE climatique. Nous assistons à une crise écologique globale. Même si nous arrivions à arrêter les dérèglements climatiques, nous serions quand même très, très mal partis, notamment avec la disparition de la biodiversité. car c’est le Vivant qui est menacé.
Il est bon de rappeler que la perte de biodiversité n’est pas aujourd’hui due aux dérèglements climatiques, mais au contraire est un facteur qui les aggrave. Les discours technocratiques sur le climat qui réduisent les problèmes à des bilans carbone et ignorent toute la dimension du vivant, ne voient qu’une partie du problème.