Une découverte explosive qui pourrait mettre fin à l’autorisation du glyphosate par l’Union Européenne. [1]
- Dépôt des plaintes au tribunal de Dax pour présence de glyphosate dans les urines. Mai 2019
D’après une nouvelle étude, les herbicides à base de glyphosate tels que le Roundup activent des mécanismes impliqués dans le développement du cancer, y compris des lésions de l’ADN. De plus, ces effets se produisent à des doses qui pour les autorités de règlementation étaient supposées n’avoir aucun effet indésirable. Les lésions de l’ADN ont été causées par le stress oxydatif, un déséquilibre dévastateur dans le corps qui peut causer une longue liste de maladies.
L’étude a également révélé qu’isolé, l’ingrédient actif du Roundup - le glyphosate - provoquait des lésions de l’ADN. En vertu de la règlementation européenne sur les pesticides, cette découverte devrait aboutir à une interdiction du glyphosate et de toutes ses formulations. Qui plus est, les résultats obtenus dans l’étude pourraient renforcer les actions juridiques contre Bayer / Monsanto que mènent des personnes atteintes de cancer aux États-Unis car elles pensent que le fait d’avoir été exposées au Roundup a causé leur maladie. Trois affaires de ce type ont déjà été jugées en faveur des plaignants.
La nouvelle étude est actuellement publiée sur le site Web pré-imprimé bioRxiv et n’a pas encore fait l’objet d’un examen par les pairs.
Comment a été réalisée l’étude
La nouvelle étude, dirigée par le Dr Michael Antoniou et le Dr Robin Mesnage au King’s College de Londres, se base sur les résultats d’une précédente étude de ces mêmes auteurs. Dans cette dernière, les chercheurs comparaient les effets sur des rats d’une formulation Roundup, MON 52276, avec ceux de son "ingrédient actif", le glyphosate, testé isolément. Les résultats montraient que le glyphosate et l’herbicide Roundup, administrés à des doses que les autorités de règlementation estiment sans danger, provoquaient des troubles du microbiome intestinal et un stress oxydatif chez les animaux, certains éléments indiquant que le foie était touché et potentiellement endommagé.
Dans l’étude de suivi, les chercheurs ont analysé le tissu hépatique des mêmes rats pour voir si effectivement des lésions étaient survenues.
Les chercheurs ont mené certains des tests standards que les autorités de règlementation obligent les industriels des pesticides à effectuer pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché de leurs produits - portant par exemple sur la biochimie du sang et l’histopathologie des reins et du foie (examen microscopique des tissus).
Ils ont également réalisé des tests approfondis (profilage moléculaire) qui ne sont ni exigés par les autorités de régulation ni généralement réalisés par l’industrie. Un type de test recherchait des effets indésirables à un niveau moléculaire profond du fonctionnement biologique par l’analyse de l’expression des gènes (transcriptomique) et de l’épigénétique (méthylation de l’ADN) dans le foie et les reins. Un autre type de test, utilisant des lignées cellulaires spécialisées modifiées génétiquement, visait à mettre en évidence des modifications de fonction liées à la formation du cancer.
De plus, les chercheurs ont réalisé des tests permettant de détecter des lésions de l’ADN.
Confirmation que le Roundup provoque une stéatose hépatique
Les tests standards, histopathologie et analyse de biochimie sanguine, ont révélé que le traitement avec le Roundup provoquait des effets indésirables, à savoir une augmentation dépendante de la dose et statistiquement significative de la stéatose hépatique ainsi que de la mort des cellules hépatiques.
La découverte qu’une exposition à la formulation du Roundup, MON 52276, provoquait une stéatose hépatique confirmait l’observation précédente de ces mêmes chercheurs comme quoi une dose ultra-faible d’une autre formulation du Roundup, Roundup Grand Travaux Plus, administrée à la même souche de rats Sprague-Dawley sur un période de 2 ans, provoquait une stéatose hépatique non alcoolique.
Une augmentation des lésions hépatiques et rénales était également détectée chez les animaux traités avec du glyphosate, même si elle n’atteignait pas une signification statistique. Les auteurs faisaient cependant remarquer qu’une expérience de plus longue durée utilisant plus d’animaux aurait peut-être abouti à une signification statistique.
Les tests non standards sont les plus révélateurs
Il est inquiétant pour la santé publique que ce soient les tests de profilage moléculaire non standards et non requis par les autorités de régulation des pesticides qui se soient montrés les plus révélateurs.
Premièrement, il s’est avéré que le Roundup altérait l’expression de 96 gènes dans le foie, ceci étant spécifiquement lié aux lésions de l’ADN et au stress oxydatif, ainsi qu’à la perturbation des rythmes circadiens ou "horloges corporelles". Les gènes les plus affectés dans le foie voyaient aussi leur expression modifiée de la même manière dans les reins. Un point crucial est le fait qu’un ensemble essentiel de gènes dont l’expression était modifiée par le Roundup, étaient modifiés de la même manière chez les animaux traités au glyphosate. Cela suggère fortement que les principales modifications dans la fonction des gènes reflétant le stress oxydatif et les dommages à l’ADN étaient dues au glyphosate et non aux substances supplémentaires (adjuvants) présentes dans la formulation Roundup.
Deuxièmement, les lésions directes de l’ADN du foie augmentaient avec l’exposition au glyphosate.
Ces découvertes constituent potentiellement une bombe qui pourrait mettre fin à l’autorisation du glyphosate dans l’Union Européenne parce que la règlementation de l’Union Européenne sur les pesticides (1107/2009) a ce que l’on appelle des critères d’exclusion basés sur les risques. Cela signifie que s’il est démontré qu’un ingrédient actif d’un pesticide cause un certain type d’atteintes à la santé à quelque dose que ce soit, il doit être interdit. Les lésionss causées à l’ADN font partie des atteintes mentionnées. Si les autorités de règlementation respectent la loi, la découverte que le glyphosate à lui seul endommage l’ADN d’un animal vivant devrait entraîner une interdiction du glyphosate.
Troisièmement, le glyphosate et le Roundup se sont avérés provoquer des changements épigénétiques connus sous le nom de méthylation de l’ADN. L’épigénétique décrit des couches de structures moléculaires associées à l’ADN qui contrôlent la fonction sous-jacente des gènes. La caractéristique déterminante des modifications épigénétiques est qu’elles peuvent modifier le fonctionnement des gènes mais n’impliquent pas de changements dans la séquence d’ADN elle-même. Ces types de modifications ont été trouvés sur plus de 5 000 sites génomiques pour le glyphosate et plus de 4 000 pour Roundup. Ceci est d’autant plus préoccupant que de telles altérations se retrouvent généralement avec une fréquence élevée dans les tissus cancéreux.
Cancer
Les chercheurs ont mené d’autres tests de laboratoire sur des lignées de cellules de souris, conçus de manière à mettre en évidence des effets qui peuvent conduire à la formation de cancers. Le glyphosate et trois formulations Roundup ont été évalués dans ces lignées cellulaires tests. Il a été établi que deux formulations de Roundup, mais pas le glyphosate, déclenchaient comme réponses un stress oxydatif et la malformation de protéines, deux marqueurs clairs de cancérogénicité.
Il n’est pas encore possible de mettre fin aux tests sur les animaux
Chose intéressante, il a été établi que le glyphosate endommage l’ADN chez les animaux vivants, mais pas dans le système de culture cellulaire. Cela montre que les tests in vitro (tests en laboratoire non réalisés sur des organismes vivants) ne peuvent se substituer entièrement aux tests sur un animal vivant car certains effets passeront inaperçus. Cela est dû au fait que les animaux (y compris les humains) sont des organismes complets dont la complexité ne peut pas être reproduite dans un flacon, une boîte de Pétri ou un tube à essai. Nombreux sont ceux (GMWatch y compris) qui aimeraient voir la fin des tests sur animaux, mais tant que les pesticides et autres produits chimiques sont autorisés à être disséminés dans l’environnement, une telle décision mettrait en danger la santé publique .
Le Roundup est plus toxique que le glyphosate
Pour résumer : il a été établi d’une manière générale que le Roundup est plus toxique que le glyphosate, ce qui confirme et renforcent les observations antérieures. Cependant, les résultats des différents essais menés montrent globalement que le glyphosate et le Roundup sous ses différentes formulations déclenchent des mécanismes impliqués dans le développement du cancer, en provoquant des modifications de l’expression génique illustrant le stress oxydatif et les lésions de l’ADN. Le glyphosate à lui seul peut clairement induire des lésions de l’ADN.
Ces résultats remettent directement en question la pratique réglementaire mondiale qui consiste à n’évaluer que l’ingrédient actif déclaré isolé (ici le glyphosate) et non les formulations commerciales complètes (Roundup) sous la forme où elles sont vendues et utilisées.
De plus, l’étude met en lumière la puissance de ces méthodes en "omiques" de profilage moléculaire en profondeur pour détecter les modifications qui passent inperçues si l’on ne se fie qu’aux mesures biochimiques et histopathologiques conventionnelles, menées dans des tests industriels standardisés sur les ingrédients actifs des pesticides. L’étude ouvre la voie à de futures recherches en identifiant les modifications de l’expression génique et les sites de méthylation modifiée de l’ADN, qui peuvent servir de biomarqueurs et de prédicteurs potentiels des effets négatifs pour la santé qu’entraîne une exposition aux herbicides à base de glyphosate.
Recherche des effets du Roundup sur la santé humaine
Le responsable de l’étude, le Dr Michael Antoniou, commentait ainsi ce que ces résultats impliquaient :
"Les biomarqueurs que nous avons identifiés peuvent être testés chez l’humain, mais nous ne savons pas si ce modèle particulier de biomarqueurs est propre à l’exposition aux herbicides à base de glyphosate. Il faudrait donc corréler les biomarqueurs avec un historique des expositions à des herbicides à base de glyphosate et des mesures du glyphosate dans les urines.
Si des taux de glyphosate élevées étaient détectés dans les urines, et qu’on établissait une corrélation avec les biomarqueurs identifiés dans la nouvelle étude et avec l’historique des expositions du sujet aux herbicides à base de glyphosate, cela indiquerait que l’exposition à des herbicides à base de glyphosate peut être responsable de tous les effets sur la santé qui sont à la fois indiqués par nos résultats et trouvés chez le sujet. Ces résultats devraient être testés d’abord en menant des recherches sur les personnels épandeurs d’herbicides, d’une part car ils peuvent être très exposés et d’autre part car le détail des herbicides spécifiques utilisés est souvent consigné, ce qui permettrait d’obtenir des résultats plus clairs. "
Les doses "sûres" et "sans effet" se sont avérées être nocives
Dans l’étude de 90 jours sur l’alimentation de rats, les différents groupes d’animaux étaient nourris avec trois doses différentes de glyphosate et la dose équivalente en glyphosate du Roundup MON 52276. La dose la plus faible correspondait à la concentration pour laquelle les autorités de régulation estiment qu’une ingestion quotidienne au cours d’une vie est sans danger (la dose journalière acceptable ou DJA dans l’Union Européenne est de 0,5 mg par kg de poids corporel et par jour). La dose moyenne était la dose qui, d’après les autorités de réglementation de l’Union Européenne, n’avait aucun effet nocif observable (le niveau "sans effet nocif observé" ou NOAEL) dans les études sur l’alimentation des rats financées par l’industrie (50 mg par kg de poids corporel par jour). La dose la plus élevée était de 175 mg et correspond à la dose qui, d’après les autorités de régulation états-uniennes, n’avait aucun effet nocif observable.
Suite à l’exposition au Roundup, des effets nocifs ont été détectés quelque soit le niveau des doses et de façon proportionnelle à celles-ci. Ces résultats montrent qu’il est dangereux d’ingérer la Dose Journalière Aceeptable de glyphosate fixée par l’Union Européenne, si elle provient d’un herbicide formulé - comme c’est le cas lorsque le public est exposé aux herbicides. De même, cela montre que les autorités de régulation de l’Union Européenne et des États-Unis ont pu conclure que le glyphosate n’avait "aucun effet nocif observable" aux taux mentionnés plus haut, uniquement parce qu’elles exigent des industriels des tests qui sont inadéquats et insuffisamment sensibles.
Implications pour les procès Roundup / cancer
Le Dr Antoniou résume ainsi les implications de cette nouvelle étude :
"Nos résultats sont les premiers à montrer simultanément la toxicité du glyphosate et du Roundup dans un système de modèle de mammifère complet et à apporter un mécanisme - le stress oxydatif - par lequel on a observé des lésions de l’ADN dans d’autres systèmes, comme les cellules de culture de tissus de mammifères.
Ces résultats ont des implications pour les procès Roundup / cancer aux États-Unis. Ils montrent que le glyphosate et le Roundup donnent des résultats positifs dans divers tests de cancérogénicité (transcriptome / modifications épigénétiques, stress oxydatif, malformation des protéines et lésions de l’ADN) chez un animal vivant (le rat) qui est accepté comme substitut des effets sur la santé humaine. À mon avis, cela renforce la thèse selon laquelle l’exposition aux herbicides Roundup peut entraîner le type de cancer dont souffrent de nombreux plaignants, le lymphome non hodgkinien."
L’étude :
In-depth comparative toxicogenomics of glyphosate and Roundup herbicides : histopathology, transcriptome and epigenome signatures, and DNA damage.
Robin Mesnage, Mariam Ibragim, Daniele Mandrioli, Laura Falcioni, Fiorella Belpoggi, Inger Brandsma, Emma Bourne, Emanuel Savage, Charles A Mein, Michael N Antoniou.
bioRxiv, doi :https://doi.org/10.1101/2021.04.12.439463
Posted April 13, 2021.
https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2021.04.12.439463v1
Traduction : Christian Berdot, Amics de la Terra de las Lanas