A la lecture des documents internes que le Guardian a consultés, il est clair que depuis des années, les deux géant de l’agriculture et de de la chimie, l’Etats-unien Monsanto et l’Allemand BASF savaient que l’introduction d’un nouveau système OGM/dicamba pouvait provoquer des dégâts dans de nombreuses fermes états-uniennes. [1]
- Pêcher endommagé par le dicamba, herbicide très volatile. Ce composé chimique est transporté par le vent et endommage les plantes qui ne sont pas modifiées génétiquement pour le tolérer. Monsanto vend maintenant les semences et le poison qui va avec.
(Commentaire et photo EchoWatch)
Article de Carey Gillam parue le 31 mars dans The Guardian. "Revealed : Monsanto predicted crop system would damage US farms"
Les risques furent minimisés, alors même que les deux firmes calculaient comment profiter des agriculteurs qui achèteraient les nouvelles semences de Monsanto pour éviter des dégâts sur leurs récoltes. C’est en tout cas, ce qui ressort des documents révélés lors d’un procès récent intenté contre les deux entreprises par un agriculteur du Missouri à qui le tribunal à accordé 265 millions de dollars de compensation.
Les documents, dont certains ont plus de dix ans, révèlent aussi comment Monsanto s’est opposé à ce que des tierces parties procèdent à des tests, dans le but de limiter la production de données qui auraient pu inquiéter les autorités de régulation.
Dans certains courriels internes, les employés plaisantent même sur leur "pseudo-science" et disent espérer ne pas terminer "en prison".
Le nouveau système de culture développé par Monsanto et BASF doit apporter une solution au fait que des millions d’hectares de terres agricoles états-uniennes sont infestées par des adventices (mauvaises herbes) devenues tolérantes aux herbicides à base de glyphosate de Monsanto, mieux connus sous le nom de Roundup. C’est sur un autre herbicide que les deux firmes ont alors collaboré, le dicamba.
Dans le système OGM/Roundup, les agriculteurs peuvent épandre des herbicides à base de glyphosate comme le Roundup sur certaines plantes que Monsanto a modifiées génétiquement pour qu’elles survivent aux épandages du pesticide. Ce système de plantes GM rendues "tolérantes au glyphosate" a eu un grand succès auprès des agriculteurs du monde entier, mais il a entraîné une tolérance généralisée au glyphosate parmi les adventices.
Les experts en adventices estime que les adventices devenues tolérantes au glyphosate infestent plus de 445 000 ha. On retrouve dans plus de 40 états des Etats-Unis, plus de 130 types de mauvaises herbes qui ont développé un certain degré de tolérance au glyphosate, soit plus d’adventices tolérantes au glyphosate que dans tout autre pays au monde.
De la même manière, le nouveau système promu par Monsanto et BASF fournit aux agriculteurs du soja et du coton GM tolérants au dicamba qui peuvent donc être traités directement avec ce produit chimique. Dans les champs les adventices meurent, mais les plantes agricoles survivent.
On utilise le dicamba depuis les années 1960, mais habituellement de façon limitée et hors de la période de levée des plantes, car il y a eu des antécédents de volatilisation - déplacement loin de l’endroit où il était épandu - en particulier pendant les mois chauds lorsque les plantes poussent. En se déplaçant, il peut endommager ou tuer les plantes sur lesquelles il dérive.
En 2011, les deux entreprises ont annoncé qu’elles collaboraient au développement des systèmes basés sur des plantes GM rendues tolérantes au dicamba. Pour cela, elles se concédaient mutuellement leurs licences et BASF acceptait de fournir à Monsanto des herbicides à base de dicamba.
Elles annonçaient vouloir fabriquer de nouvelles formules de dicamba qui resteraient là où elles étaient épandues et ne dériveraient pas comme les anciennes versions de dicamba le faisaient. Les deux entreprises ont certifié aux autorités de régulation et aux agriculteurs qu’avec une bonne formation, des buses spéciales pour les épandeurs, des zones tampons et certaines autres pratiques de "gestion", le nouveau système plante GM/dicamba mettrait "sur le marché de très bonnes formules, adaptées aux besoins des agriculteurs".
Les documents montrent que, dès 2009 lors de réunions privées, les experts agronomes prévenaient que le développement d’un système de tolérance au dicamba pourrait avoir des conséquences catastrophiques. Les experts ont dit à Monsanto qu’il était probable que les agriculteurs épandent des versions anciennes et volatiles du dicamba sur les nouvelles plantes tolérantes et que même de nouvelles versions étaient suffisamment volatiles pour dériver à partir des champs de coton et de soja GM tolérants au dicamba vers des cultures voisines poussant dans d’autres fermes.
Il est important de comprendre que dans le système conçu par Monsanto et BASF, seuls les agriculteurs qui achètent des semences de coton et de soja Monsanto - modifiées génétiquement pour être tolérantes au Dicamba - seraient protégés des risques de dérive de ce produit chimique et des dégâts qu’il peut causer. Les producteurs de coton et de soja qui utilisent d’autres semences et les agriculteurs qui cultivent toute sorte de plantes, du blé aux pastèques, seraient eux menacés par la dérive du dicamba.
D’après un rapport préparé pour Monsanto en 2009 dans le cadre de la consultation de l’industrie, un tel "déplacement hors cible" était prévu, tout comme les "pertes de récoltes", les "procès" et une "couverture médiatique négative des pesticides".
Dans un document de 2015, on peut voir que Monsanto estimait dans ses propres projections que les procès intentés par des agriculteurs pour compenser les dégâts causés par le dicamba totaliseraient plus de 10 000 plaintes, dont 1 305 en 2016, 2 765 en 2017 et 3 259 en 2018.
- Extrait : d’un document montrant les projections de Monsanto relatives aux plaintes des agriculteurs en raison du dicamba (Photograph : Randles & Splittgerber)
Monsanto et BASF ont défendu leurs produits et leurs différents rôles dans la mise sur le marché de leur nouveau kit plantes GM/Dicamba. Pour BASF, le dicamba ne pose aucun problème "lorsqu’il est utilisé correctement". De plus, c’est un outil important pour les agriculteurs. Pour Monsanto, son herbicide XtendiMax dicamba - Monsanto affirme qu’il n’a pas été inventé avant 2012 - a été "évalué de façon approfondie" par l’Agence de Protection de l’Environnement états-unienne qui "a établi qu’il ne présentait aucun risque disproportionné de dérive hors cible lorsqu’il est utilisé dans le respect des instructions indiquées sur l’étiquette".
D’après des estimations de l’industrie, plusieurs millions d’hectares de cultures ayant subi des dégâts à cause du dicamba ont été signalés. Plus de 100 agriculteurs états-uniens intentent un procès devant un tribunal fédéral alléguant que la collaboration entre Monsanto et BASF a eu pour résultat un système de culture "défectueux" qui a endommagé des vergers, des jardins et les champs de fermes biologiques et non biologiques dans plusieurs États.
Le mois dernier, le premier procès en compensation pour les dégâts causés par le dicamba s’est terminé par un jugement exigeant de Monsanto et BASF, 265 millions de dollars de dommages et intérêts. Les documents étudiés par le Guardian ont été obtenus, après que le tribunal ait ordonné leur divulgation, par le cabinet d’avocats qui a remporté cette affaire.
Bill et Denise Bader, producteurs de pêches dans le Missouri affirment que les agissements des deux entreprises ont conduit à la dérive du dicamba qui a endommagé 30 000 pêchers et ruiné leur exploitation familiale vieille de 34 ans. L’avocat des Bader, Bill Randles, a expliqué au jury que les deux entreprises en encourageant l’épandage généralisé du dicamba sur de grandes surfaces, ont provoqué une "catastrophe écologique".
BASF et la Bayer AG, le propriétaire allemand de Monsanto, ont nié toute responsabilité et ont annoncé leur intention de faire appel contre le verdict du procès intenté par les deux producteurs de pêches. Pour les deux firmes, leurs produits sont sûrs et efficaces lorsqu’ils sont utilisés correctement. Bayer, le propriétaire de Monsanto, doit aussi faire face à des milliers de procès de plaignants qui affirment que ses herbicides au glyphosate provoquent le cancer. Jusqu’à présent, trois jurys ont conclu que le Roundup est cancérigène et que Monsanto a dissimulé les risques.
Tout comme Monsanto l’avait fait lors des procès du Roundup, Monsanto et BASF ont cherché à conserver le caractère confidentiel de la plupart des documents qu’ils ont dû divulguer lors du procès du dicamba. Environ 180 ont été rendus publics et ont été cités lors du procès Bader.
Pour Angie Splittgerber, une ancienne avocate de la défense de l’industrie du tabac qui travaille avec Bev Randles dans le cabinet Randles & Splittgerber, "Les documents sont les pires que je n’aie jamais vus dans toutes les affaires que j’ai pu traiter. Dans beaucoup d’entre eux, on trouvait des choses écrites qui étaient tout simplement effrayantes."
Profits
Monsanto et BASF ont certes travaillé ensemble pour obtenir l’autorisation réglementaire pour les semences GM tolérantes au dicamba, mais chaque firme a ensuite développé sa propre gamme de produits herbicides à base de dicamba à utiliser avec ces semences. Et bien que les semences aient obtenu le feu vert pour la mise en culture en 2016, les deux entreprises ont été dans l’incapacité d’obtenir l’homologation réglementaire pour commencer à vendre leurs nouveaux herbicides avant 2017.
Dès le début, des universitaires se sont montrés sceptiques vis-à-vis du nouveau plan d’utilisation du dicamba par les deux entreprises, mais leur inquiétude a encore grandi lorsque les semences GM tolérantes au dicamba ont été commercialisées avant les nouvelles formules de dicamba. Comme les détracteurs l’avaient prédit, les agriculteurs qui avaient acheté les nouvelles semences, commencèrent à traiter leurs champs avec du dicamba vieille formule, malgré les autocollants sur les sacs de semences qui leur interdisaient de procéder ainsi.
Les documents montrent que les deux entreprises se réjouissaient des profits potentiels du nouveau système semences GM/herbicide. BASF prévoyait que son nouvel herbicide au dicamba serait une "marque rapportant 400 millions de dollars dans deux ans", avec des ventes en mai 2017 qui dépasseraient les 131 millions de dollars et une marge brute de 45%.
Des documents, il ressort que les entreprises ont vu qu’elles pouvaient en partie profiter de la situation pour vendre leur semences à des producteurs de soja et de coton qui certes n’avaient pas besoin ou ne voulaient pas de plantes GM tolérantes au dicamba, mais pouvait être convaincus de les acheter pour protéger leurs cultures contre les dérives du dicamba.
Cette stratégie est évoquée dans de nombreux documents. Dans une mise à jour de la stratégie de BASF de 2016, la firme mentionnait la "plantation défensive" (le fait de planter des plantes GM tolérantes au dicamba pour les protéger) comme étant une "possible opportunité commerciale". Monsanto voyait aussi dans les agriculteurs victimes de dégâts provoqués par les dérives, de "nouveaux utilisateurs".
Dans un échange de courriels datant de novembre 2016, un distributeur de Monsanto notait qu’avec "toutes les plaintes concernant les dégâts causés par la dérive du dicamba", la demande en semences tolérantes au dicamba de Monsanto augmentait fortement. Le responsable de Monsanto lui a répondu : "On est en capacité de la faire exploser cette année, comme on ne l’a plus fait depuis 2009".
Dans un communiqué adressé au Guardian, Monsanto niait avoir prévu de cibler les agriculteurs victimes des dérives pour en faire de nouveaux utilisateurs. Le Guardian a demandé à Monsanto de commenter les avertissements de 2009 comme quoi son plan de développement de plantes GM tolérantes au dicamba pourrait porter préjudice aux agriculteurs. Monsanto a répondu que c’était faux et qu’il soutenait son système plantes GM/dicamba. La firme déclarait ensuite qu’elle prenait "très au sérieux sa responsabilité lors de l’introduction de toute nouvelle technologie".
Eviter les tests
Une série de courriels illustre les efforts de Monsanto pour bloquer des analyses de ses nouveaux herbicides à base de dicamba par des universitaires, en partie de peur qu’ils ne perturbent les efforts de l’entreprise pour obtenir l’homologation de l’Agence de protection de l’environnement.
L’agence était consciente des problèmes de volatilité et Monsanto cherchait à la convaincre que ces inquiétudes étaient infondées.
Deux mois plus tard, en avril 2015, Robert Montgomery, qui travaillait dans le développement technologique pour Monsanto dans le Tennessee, écrivait à ses collègues qu’un scientifique de l’Université de l’Arkansas, spécialistes des adventices, avait demandé si Monsanto pouvait fournir "quelques millilitres" de son herbicide, le dicamba formule Xtend, pour que des universitaires puissent procéder à des tests. Montgomery a ensuite déclaré qu’il fut répondu au spécialiste des adventices que Monsanto "cette année là, ne testait pas de formule car il était difficile de produire des quantités qui permettent des tests plus larges".
Ce à quoi, Joseph Sandbrink, directeur du développement technologique de Monsanto répondit : "Hahaha. Difficile de produire suffisamment de produit pour les tests sur le terrain. Hahaha, des conneries oui."
Dans son communiqué, Monsanto déclarait avoir "facilité un certain nombre de tests par des tierces parties" avant et après l’homologation de l’Agence de protection de l’environnement.
Monsanto ajoutait que les courriels dans lesquels des personnes utilisaient de temps en temps "des abréviations ou des expressions familières" avaient été "soigneusement triés" par les avocats lors du récent procès, mais que cela "ne changeait rien au fait que les produits dont nous parlons aient été rigoureusement testés et approuvés (deux fois ) par l’Agence de protection de l’environnement".
Comme certains observateurs l’avaient prédit, les plaintes en compensation pour les dommages causés par les dérives du dicamba augmentèrent fortement après que Monsanto ait introduit ses nouvelles semences en 2016, et même après l’introduction des herbicides nouvelles formules de Monsanto et de BASF en 2017.
Fin 2017, un fil de discussion de Monsanto faisait référence aux "immenses dégâts que nous avons pu voir ".
En 2018 et compte tenu du niveau élevé des dégâts, l’Agence de protection de l’environnement imposait de nouvelles restrictions sur l’utilisation des herbicides à base de dicamba, mais elle prolongeait l’enregistrement jusqu’au 20 décembre 2020. Monsanto, BASF et Corteva qui commercialise aussi un produit à base de dicamba, espèrent que les enregistrements seront renouvelés.
Les documents internes montrent que, face à la crainte des agriculteurs que le dicamba ne dérive et ne contamine les parcelles de fruits et légumes, Monsanto et BASF conçurent une stratégie pour obtenir de l’Agence de protection de l’environnement que certaines doses de résidus de dicamba soient autorisées légalement dans des cultures comme les tomates, les pommes de terre, les raisins et d’autres plantes alimentaires susceptibles d’être accidentellement exposés aux épandages de dicamba.
L’Agence de protection de l’environnement a déclaré que depuis l’introduction des nouvelles semences de Monsanto, elle a reçu environ 1 851 rapports de dégâts "majeurs" et 2 221 rapports de dégâts "cumulés", mais a prévenu que ce n’était peut-être pas un décompte total.
Un responsable de l’Agence de protection de l’environnement déclarait que "l’Agence prend très au sérieux les rapports de dégâts sur les cultures relatifs à l’utilisation du dicamba. Nous travaillons avec les États et les déclarants pour mieux comprendre la problématique afin de pouvoir résoudre le problème des dérives illégales. Nous examinons, en tenant compte des incidents qui ont été signalés, les restrictions d’utilisation actuelles signalées sur l’étiquette pour voir à quelles modifications nous pouvons procéder pour que des expositions indésirables ne se produisent pas."
Selon Bev Randles, l’avocate des Bader, les agriculteurs s’inquiètent des dégâts persistants et "le dicamba est un problème qui aurait pu rester sous contrôle. Au lieu de cela, ils l’ont laissé se transformer en catastrophe et leur gestion du problème a été déplorable du début à la fin."
"C’est un énorme problème", nous confie Jack Geiger, un agriculteur biologique du Kansas, qui ajoute que sa ferme qui produit du blé, du maïs et du soja a été victime à plusieurs reprises des dérives de dicamba. "Comparé au Dicamba, le Roundup va bientôt passer pour une partie de plaisir."
BASF : le dicamba "est sûr s’il est utilisé correctement"
Dans un communiqué, BASF déclarait : "BASF estime que le dicamba est sûr lorsqu’il est utilisé correctement, conformément aux instructions de l’étiquette et aux directives de gestion. C’est un outil important pour les agriculteurs qui luttent de plus en plus contre les mauvaises herbes résistantes.
BASF et Monsanto sont deux entités différentes et BASF rejette catégoriquement toute tentative visant à lui imputer quelque mauvais agissement de Monsanto que ce soit. Lors du récent procès, le jury s’est prononcé pour des dommages et intérêts punitifs contre Monsanto, mais pas contre BASF. Pour toutes les raisons que BASF a avancées devant le tribunal, BASF est en désaccord avec le jugement du tribunal de première instance qui estime que BASF devrait être responsable de la conduite de Monsanto."
• Cet article a été mis à jour le mardi 31 mars pour préciser que les courriels internes décrits dans le quatrième paragraphe provenaient de BASF et de Monsanto.
Traduction et adaptation : Christain Berdot des Amis de la Terre des Landes