Qu’une des priorités de la politique commerciale des Etats-Unis soit le démantèlement du principe de précaution de l’Union européenne, ça n’a rien de nouveau. Par contre, que l’Union européenne soit apparemment prête à sacrifier un de ses principes fondamentaux pour un minable marché cynique "voitures contre agriculture", destiné à apaiser le président Donald Trump et à éviter des taxes massives sur les voitures européennes (principalement allemandes), ça c’est nouveau !
Il semblerait que les négociateurs de l’UE et des États-Unis discutent très sérieusement pour conclure un accord dès le 18 mars. Ce serait une erreur de penser qu’il ne s’agit que d’un argument pour la campagne aux Etats-Unis. D’un tel accord, l’UE retirerait le bénéfice à court terme d’un allégement des représailles tarifaires états-uniennes. En échange, les États-Unis obtiendraient des changements à long terme de la réglementation, des pratiques administratives et de l’évaluation des risques de l’UE, en particulier dans l’agriculture et les produits alimentaires, et plus particulièrement encore en ce qui concerne l’utilisation réglementaire du principe de précaution inscrit dans la constitution de l’UE (Traité de Maastricht).
Le véritable objectif du soi-disant « mini-accord » des États-Unis et de l’Union européenne sur le commerce est sans ambiguïté et s’attaque au cœur même du mode de vie et de la conception de l’État de droit en Europe. Les négociateurs commerciaux états-uniens, le secrétaire à l’Agriculture Sonny Perdue et les lobbies agricoles états-uniens ont tous été on ne peut plus clairs : le principe de précaution doit disparaître, et il est maintenant temps de s’en débarrasser définitivement.
Le principe de précaution est une conception de la réglementation qui peut se résumer à la formule « avant tout, ne pas nuire ». Il s’applique notamment aux situations où nous ne disposons pas des connaissances scientifiques approfondies dans un domaine et qui peuvent avoir des conséquences négatives pour les citoyens ou l’environnement. Le principe a longtemps façonné d’importantes politiques de l’UE : sécurité alimentaire, chimie et environnement. Une exigence clé de la politique de sécurité alimentaire de l’UE est par exemple la traçabilité. Elle a pour objectif de tracer les aliments et les ingrédients destinés à la consommation humaine à tous les stades de la production, de la transformation et de la distribution. Cette approche de la sécurité alimentaire dite « de la ferme à la fourchette » intègre l’hygiène des aliments tout au long de la chaîne de production et sert de base juridique et politique aux limitations de l’utilisation des antibiotiques, hormones et autres intrants chimiques dans la production alimentaire, ainsi qu’à la réglementation stricte des OGM.
Le bien fondé de cette démarche qui consiste à faire preuve de prudence lors de l’introduction de nouveaux produits chimiques et de nouvelles technologies n’est plus à prouver. Des exemples de catastrophes écologiques et sanitaires qui auraient pu être évitées ou pour le moins limitées avec une approche plus prudente sont bien connus, comme le mésothéliome causé par l’exposition à l’amiante, les malformations congénitales intergénérationnelles provoquées par une exposition prénatale à l’œstrogène synthétique DES et la contamination des aquifères d’eau potable par le MTBE, un additif volatif de l’essence...
Certes, on peut trouver dans la législation des Etats-Unis certaines dispositions de précaution, notamment la clause Delaney de 1958, qui a récemment été invoquée pour interdire l’utilisation de sept produits chimiques cancérigènes comme additifs alimentaires. Mais d’une façon générale, et plus particulièrement dans le cadre des accords commerciaux, la politique ouvertement déclarée des Etats-Unis est de rejeter le principe de précaution en faveur d’une réglementation dite « basée sur les risques ». ...
Lors de cette dernière offensive aux conséquences potentiellement très lourdes pour renverser ce principe fondamental du droit de l’UE, les responsables états-uniens n’y vont pas par quatre chemins. Pour le sous-secrétaire états-unien au Département de l’Agriculture pour le Commerce et les Affaires agricoles étrangères Ted McKinneye, le principe de précaution est « l’horreur absolue pour le monde » et « étrangle » l’Europe. Dans un langage apocalyptique, McKinney affirme que les jours du principe de précaution sont comptés : "Il est absolument clair que le jugement dernier arrive." Juste la semaine dernière, l’ambassadeur des États-Unis, Dennis Shea, a fustigé les responsables de l’UE lors d’un forum de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et a affirmé que la politique de l’UE en matière de pesticides « restreint le commerce sans aucune justification scientifique ni aucun avantage pour la santé humaine » et que ses normes de sécurité alimentaire sont « des barrières non tarifaires injustifiées qui entravent l’utilisation d’outils et de technologies agricoles modernes comme les biotechnologies, les médicaments vétérinaires et les traitements de réduction des agents pathogènes ».
Qu’une des priorités de la politique commerciale des Etats-Unis soit le démantèlement du principe de précaution de l’Union européenne, ça n’a rien de nouveau. Par contre, que l’Union européenne soit apparemment prête à sacrifier un de ses principes fondamentaux pour un minable marché cynique "voitures contre agriculture", destiné à apaiser le président Donald Trump et à éviter des taxes massives sur les voitures européennes (principalement allemandes), ça c’est nouveau ! Dans la déclaration publique du 20 février, plus de 100 groupes de la société civile réaffirmaient que « La crainte devant les menaces du président états-unien d’imposer des taxes élevés sur les voitures européennes ne peut être une excuse pour reculer sur des intérêts publics fondamentaux. Ce changement radical apparent au sein de la Commission, que l’on voit apparaître après des mois de négociations à huis clos et en grande partie à l’abri des regards du public, est extrêmement inquiétant ».
Selon Politico Trade, le commissaire européen au commerce, Phil Hogan, a laissé entendre qu’un "mini-accord" pourrait être conclu d’ici le 18 mars pour éviter une augmentation des taxes états-uniennes sur la société aérospatiale européenne Airbus, qui fait l’objet d’un contentieux depuis 15 ans à l’OMC. Alors que l’espoir de Hogan d’éviter une augmentation des tarifs états-uniens sur Airbus s’est avéré vain, les États-Unis se sont abstenus, pour l’instant, d’augmenter leurs taxes de 25% sur les exportations agricoles européennes - notamment le vin, le fromage et les olives de table, produits tous politiquement sensibles dans des États membres de l’UE. L’accord proposé par Hogan pourrait inclure une baisse des taxes sur les voitures fabriquées par l’UE et une accélération des procédures d’approbations des cultures OGM.
Les déclarations de Hogan se contredisent et sont ambiguës quand il évoque la volonté de l’UE de modifier ses pratiques de sécurité alimentaire en vue d’accepter les importations de viande états-unienne traitée avec des produits chimiques anti-microbiens comme l’acide péracétique. Les groupes de la société civile craignent que le fait que d’autres éléments que les négociateurs de l’UE ont précédemment décrits publiquement, comme les évaluations de la conformité et les dispositions de coopération réglementaire, soient aussi dans la ligne de mire de l’accord commercial entre les États-Unis et l’UE, ne diminue encore les protections des consommateurs et d’autres protections.
Le calendrier de négociation rapide a été approuvé par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans des commentaires qui faisaient suite à sa rencontre en janvier avec Trump au Forum économique mondial de Davos, en Suisse. Ce n’est peut-être pas une hasard si von der Leyen, ancienne ministre allemande de la Défense, a grand intérêt à éviter la menace des droits de douane de Trump sur les voitures allemandes.
Vous pouvez qualifier cet accord de « mini-accord » ou de toute autre nom, il n’en reste pas mooins que les raisons pour lesquelles il est conclu sont toutes mauvaises. Il sacrifie des protections de longue date pour des objectifs politiques à court terme. Cela aura des conséquences durables qui pourraient bien être irréversibles, car de nouveaux OGM seront disséminés sans examen adéquat tandis que des protections durables pour l’environnement et les citoyens seront rognées. Il s’agit ni plus ni moins de favoriser les géants agricoles les plus grands et les plus destructeurs au détriment de politiques durables qui s’attaquent à la crise climatique. Les États-Unis procèdent actuellement à un démantèlement important des fondements de leur droit public et environnemental et à la destruction de ressources naturelles incomparables et irremplaçables. Ce n’est pas le moment pour l’UE de suivre cette même voie irréfléchie.
Traduction : Christian Berdot
Lien vers l’article de l’Institute for Agriculture and Trade Policy : " There’s nothing “mini” about the U.S. plan to unravel Europe’s precautionary principle "