Un accaparement de terres de très grande envergure menace les peuples tribaux indiens.
Ils ont besoin d’un soutien mondial
Les Adivasi vivent dans les forêts du pays depuis des millénaires. Mais aujourd’hui, sous le prétexte fallacieux de protection de la nature, des millions de personnes risquent d’être expulsées de leurs terres
- Les Adivasis représentent 9 % des 1,2 milliard d’Indiens. Photographe : Alamy
En Inde, près de 8 millions de personnes membres de Peuples indigènes risquent d’être expulsés des forêts que leurs ancêtres ont habité depuis des millénaires. Cette grave injustice fait suite à une décision choquante de la Cour suprême qui bafoue les droits des Peuples indigènes de l’Inde, appelés Adivasi, ou Peuples tribaux.
En 2011, on recensait 104 millions de personnes appartenant à ces peuples, soit près de 9% de la population totale du pays (1,2 milliard d’habitants). C’est la population indigène la plus importante au monde et elle occupe 22% du territoire géographique de l’Inde.
Un certain nombre d’organisations indiennes de protection de la faune sauvage et de la nature, dont Wildlife First, le Wildlife Trust of India et le Tiger Research and Conservation Trust ont accusé les peuples tribaux de détruire la biodiversité des forêts et ont demandé à la Cour de les expulser de leurs terres. Pourtant, la loi de 2006 sur les droits forestiers accordait aux Adivasi le droit de vivre et de protéger les terres qu’ils cultivaient dans les limites de la forêt.
C’est un vieux débat que celui de la protection de la vie sauvage contre les habitants de la forêt. Mais il y a déjà pas mal d’années que la plupart des ONG indiennes ont compris que les Adivasis n’étaient pas des ennemis mais se battaient pour la même cause. Ayant vécu avec ma famille dans une zone forestière pendant trois décennies et demie, je sais que ces peuples vivent en harmonie avec la nature et qu’en les expulsant, on laisse la forêt sans surveillance et vulnérable en particulier face aux braconniers.
La Loi sur les droits forestiers a mis fin aux injustices historiques perpétrées contre les communautés d’habitants des forêts pendant des siècles. Elle a donné le droit aux conseils tribaux de rejeter les demandes de planification présentées par des sociétés minières, comme celles que Vedanta, basée au Royaume-Uni qui projetait d’extraire de la bauxite dans les collines de Niyamgiri.
Mais en vertu de la loi, les peuples tribaux devaient demander aux gouvernements des États de garantir les titres de propriété sur leurs terres - et des milliers de revendications d’Adivasis ont été rejetées dans toute l’Inde. La plus haute instance judiciaire du pays a maintenant décrété qu’ils étaient des "intrus" et devraient être expulsés.
Les États ont été invités à commencer les expulsions d’ici juillet, si les tribus ne peuvent pas produire de preuves documentées prouvant leur propriété. Mais comment des personnes qui n’ont pas de document, ne savaient pas qu’elles devaient avoir des droits écrits pour vivre sur des terres occupées par leurs ancêtres, auraient pu produire les titres de propriété correspondants ?
Dans les tribunaux, les droits des Adivasis ne furent défendus par aucun avocat d’État contre ces groupes de protection de la nature. Il est honteux qu’un gouvernement ayant en charge de défendre ses citoyens les plus pauvres et les plus vulnérables ne fournisse pas d’avocat pour les défendre contre cette requête. Comment cela se fait-il ? Le gouvernement serait-il complice de ce vol massif de terres ? Il semblerait bien que oui.
Des terres fertiles pour la production alimentaire ont déjà été prises de force à d’infortunés agriculteurs et cédées à des prix dérisoires à des groupes industriels milliardaires. Et ce n’est pas la première fois que des villageois sont chassés de leurs terres au nom du développement.
Un cas exemplaire est la tristement célèbre expulsion de Narmada. Le 12 décembre 1979, malgré les nombreuses manifestations, le gouvernement indien décida de surélever le barrage de Sardar Sarovar sur la rivière Narmada et de construire 30 grands barrages, 135 moyens et 3 000 petits. Cela devait, d’après les annonces du gouvernement, fournir de l’eau à environ 40 millions de personnes et permettre de fournir irrigation et électricité aux habitants de la région. Pour y parvenir, 200 000 personnes furent déplacées, dont une majorité d’Adivasis.
Avec ce simulacre de justice, les communautés premières qui habitent dans la forêt et qui présentent le bilan écologique le plus faible, se voient menacées d’expulsion au nom de la protection de l’environnement.
Les groupes de défense de la nature qui s’opposent aux droits des tribus se trompent de cible. Ils prétendent qu’en octroyant des droits aux tribus sur la forêt on provoque une fragmentation de celle-ci et une menace énorme pour la biodiversité. En fait, les peuples tribaux protègent de nombreuses espèces de plantes comme les racines et les tubercules qu’ils utilisent comme source de nourriture.
Pour Stephen Corry, directeur de Survival International, le mouvement mondial de protection des Peuples indigènes : "Ce jugement est une condamnation à mort pour des millions de membres des Peuples tribaux en Inde, un vol de terres à une échelle spectaculaire et une injustice monumentale. Est-ce que les grandes organisations de protection de la nature comme le WWF et WCS vont condamner cette décision et s’engager à la combattre, ou seront-elles complices de la plus grande expulsion de masse jamais entreprise au nom de la protection de la nature ? "
Une campagne publique doit être lancée pour rétablir les droits des Peuples tribaux. Les défenseurs des droits humains en Inde combattent ardemment contre cette ordonnance. Tout comme des groupes internationaux.
Mari Marcel Thekaekara est une militante des droits humains et écrivaine basée à Gudalur, au Tamil Nadu. En 1985, elle a co-fondé Accord pour travailler avec les Adivasi
Article original paru dans The Guardian le 27/02/2019 :"A huge land grab is threatening India’s tribal people. They need global help"