Les Amis de la terre ont participé au numéro 5 de Landemains, en proposant un article sur l’eau. Le voici ci-dessous :
L’Eau des Landes pas toujours nette
Environ 70 % de l’eau consommée dans les Landes provient de nappes souterraines. L’eau potable provient essentiellement de ces nappes, leur rechargement n’est pas suffisant dans des secteurs de plus en plus nombreux. Dans la zone qui nous concerne, le débit moyen annuel des cours d’eau baissera de 50 % d’ici 2050, si, toutefois, nous arrivons à stabiliser les émissions de carbone. Les Amis de la Terre ont produit une série d’articles, résultats de leurs recherches, sur l’eau potable [1]. Partant de l’eau délivrée par l’usine d’Orist du SIBVA, et après avoir rencontré la chambre d’Agriculture et l’ARS, nous avons étendu nos investigations au département. Près de 120 000 personnes y consomment une eau non conforme à la loi. Trois opérateurs publics distribuent cette eau en toute connaissance de cause depuis plusieurs années. La définition de l’eau potable est difficile, nous nous en tiendrons à la définition juridique de l’arrêté du 11 janvier 2007 qui régit l’EDCH (Eau Destinée à la Consommation Humaine).
Les faits
C’est mi-2013 que l’ARS des Landes recherche de nouveaux résidus de pesticides dans l’EDCH. Plusieurs métabolites de pesticides furent découvert pour certains en forte quantité. Un métabolite est une molécule issue de la décomposition d’un pesticide. Il est classé pesticide au même titre que la molécule parente.
Pour être conforme, l’eau du robinet doit contenir moins de 0,1µg/l d’eau (moins d’un 10 millionième de g/l d’eau) pour chaque pesticide. La somme de tous les pesticides doit être inférieure à 0,5µg/l d’eau. Si la limite est dépassée plus d’un mois sur l’année, alors une dérogation temporaire doit être obtenue pour continuer, sous certaines conditions, à distribuer l’eau. Seul le SIBVA, sous la pression d’une poignée d’élus, a demandé la dérogation. Cette dérogation impose plusieurs actions de la part du distributeur, entre autre :
- L’information des usagers, et en particulier des personnes fragiles.
- Le retour à la normale par des actions préventives.
- Le retour à la normale par des actions curatives si le préventif est impossible.
- Un plan d’action avec objectifs intermédiaires à atteindre.
- Un retour à la normale sous 3 ans renouvelable deux fois. Nous connaissons tous le combat mené pour la suppression du glyphosate, mais ici nous avons d’autres produits similaires par les risques supposés. Le S-métolachlore est un désherbant de pré et post levée utilisé au printemps, sur le maïs. L’Esa-métolachlore, principal polluant de nos eaux souterraines, est un métabolite commun des Métolachlores.
La Figure montre les communes dont l’eau est non conforme principalement à cause de l’Esa-Métolachlore. Les villes de Dax et Mont de Marsan, en jaune, ne sont représentées que comme repères. Le fond bleu ciel montre les communes qui seraient conformes. Les nombres indiquent la profondeur des forages pour l’EDCH. Chaque commune, ou groupe de communes, colorées différemment représentent une zone où l’eau distribuée est ou a été non conforme ente 2015 et 2017.
La teneur en Esa-métolachlore peut dépasser 30 fois la limite de conformité (Villeneuve de Marsan). Elle voisine les 15 fois la limite (zone d’Orist, Saint Gein, Créon d’Armagnac...).
Les groupements de communes en blanc présentent une autre particularité. Elles sont souvent très proches des limites de non conformité pour les pesticides (Donzacq). Par contre, elles sont trop chargées en Chlorites. Ce produit est un désinfectant de l’eau.
Pour les Chlorites, l’ARS note à chaque relevé hors qualité la chose suivante : ’Eau conforme aux limites de qualité pour les paramètres analysés. Cependant, les références de qualité, témoins du fonctionnement des installations de production et de distribution, ne sont pas respectées pour tous les paramètres. Teneur en chlorites supérieure à la valeur maximale de référence. Toutes les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation (analyses des causes, autocontrôle analytique, vérification des installations …) devront être prises. La délégation territoriale de l’ARS sera tenue informée des mesures prises et des résultats obtenus (conformément aux dispositions prévues aux articles R.1321-26 et suivants du Code de la Santé Publique).’ De contrôle en contrôle, la litanie devient obsédante. Il semble que nous soyons dans le plus pur formalisme. Comme pour les pesticides, rien ne bouge, et pourtant l’investissement semble à la portée de la structure...
Quelle est la part de l’eau distribuée non conforme, et cette part pourrait elle grandir rapidement ? En effet, des forages à plus de 70 m de profondeur sont contaminés (Orist et autres). A St Lon les Mines, un forage à 170 m contient déjà environ 0,2 µg/l d’Esa Métolachlore. Les usines de potabilisation ne sont pas équipées pour traiter ces molécules. Un cercle infernal ajoute régulièrement de nouvelles molécules remplaçant des molécules interdites à l’origine garanties sans danger, mais qui se révèlent dangereuses à l’usage. L’utilisation de pesticides est une course sans fin derrière de nouvelles molécules qu’il faut ensuite extraire de l’eau à potabiliser avec des solutions de plus en plus chères et parfois incertaines comme pour celle qui devrait être mise en place à Orist pour l’Esa-Métolachlore. Nous ne sommes pas dans un système Pollueur/Payeur, mais Pollué/Payeur.
Pesticides, cancérogenèse et perturbation endocriniène
Bien entendu, les structures de la santé, la préfecture, vous diront que tout cela n´est pas bien grave que l’eau ne présente aucun danger, études à l’appui. Sauf que le travail de quelques bé,névoles locaux de la Bande à Bonn’EAU, et de récentes études montrent qu’il y a une forte suspicion pour que ces affirmations ne soient pas aussi vraies que cela.
En ce qui concerne les études sur la dangerosité ou non du S-Métolachlore et de ses métabolites, il y aurait un petit hic. Concernant l’Esa-métolachlore, l’ANSES, saisie le 1° octobre 2013 par l’ARS, répond le 1° janvier 2014. Un peu court pour diligenter des études indépendantes. A la lecture des sources utilisées, nous constatons que la réponse de l’ANSES aurait pu être faite par les producteurs de pesticides eux même :
- les études pour déterminer la toxicité des métabolites sont des études de toxicité sub-chronique (exposition de rats sur des périodes maximales de 90 jours) fournies par les fabricants des herbicides (Rapports non publiés de Novartis Crop Protection AG, Monsanto, CIBA-GEIGY) [2]. Pour chacun des métabolites concernés, le rapport indique qu’il n’existe pas d’études sur leur toxicité chronique (sur le long terme) par ingestion.
- les études sur lesquelles s’appuie l’avis pour déterminer les valeurs toxicologiques par voie orale des molécules mères sont des rapports non publiés de Monsanto, CIBA CEIGY, Novartis ; une étude publiée (citée par le Minesota Department of Health) co-écrite par M.Siglin, qui est l’auteur principal des rapports de Monsanto ; une étude publiée menée par un laboratoire privé et dont l’origine des financements n’est pas précisée [3] ; un article publié dans une revue éditée par Gio B Gory [4]… Ce qui n’empêche pas l’ANSES d’établir des limites de toxicité très largement au dessus de la limite de qualité de 0,1µg/l d’eau pour l’Esa-Métolachlore.
Des études récentes mettent en évidence la dangerosité des perturbateurs endocriniens [5]. il n’y a pas de limite basse de toxicité, pour cette nouvelle nature de polluants. En effet, un perturbateur endocrinien s’avère dangereux dans les très faibles doses typique des limites définies pour l’EDCH. C’est la période de la vie qui est dangereuse et non la quantité absorbée. Une absorption infime dans les phases de modification hormonale (fétus, enfance, adolescence, maladies spécifiques, fragilité) présentera un danger accru de malformation (fétus), de développement ultérieur de certaines maladies (cancers, stérilités, obésités, diabètes…). Le métolachlore a été interdit car il était un perturbateur endocrinien. Il a été remplacé par le S-Métolachlore. Ces deux molécules sont des énantiomères. Autrement dit, elles ont la même formule chimique développée, seule la forme de la molécule diffère. Elles ont les mêmes propriétés chimiques, mais peuvent avoir des actions biologiques légèrement différentes. Ces pesticides (Métolachlore, S-Métolachlore, alachlore, Acétolachore, Métazachlore) sont des Chloroacétamides. Or le Chloroacétamide a été interdit comme perturbateur endocrinien dans les cosmétiques en 2012. le fardeau sanitaire directement lié aux perturbateurs endocriniens s’élèverait à 157 milliards d’euros par an pour l’Europe, selon l’Endocrine Society, qui réunit 18 000 scientifiques du monde entier.
Rappelons à ce sujet que les études (très onéreuses) permettant l’homologation d’un pesticide sont faites par l’industriel producteur. De nombreux cas tant dans les pesticides, que dans le monde pharmaceutique montrent que ces études peuvent s’avérer fausses, car incomplètes, ou biaisées. Ce n’est que bien plus tard après leur mise sur le marché que l’on s’aperçoit de la dangerosité. Les pesticides à base de Chloroacétamides n’échappent pas à cette configuration. Certains comme le Métolachlore, l’Alachlore, l’Acetochlore sont déjà interdits, d’autres sont au stade du soupçon plus ou moins avancé.
Le monde Agricole
Dans les Landes, l’irrigation du maïs utilise 72% de l’eau consommée. Ailleurs, elle ne représente au mieux qu’un tiers des consommations.
Il semble que nous ayons une présidence de la Chambre d’Agriculture particulièrement agressive dans la défense des intérêts des lobbies pro-pesticides. Le projet EauRist impulsé par la Chambre d’Agriculture devait réduire la pression de pesticide sur les champs captants d’Orist. Il possède toutes les caractéristiques d’une étude où la communication joue le rôle dominant masquant la réalité des faits comme nous l’avons démontré. Il est dans la droite ligne des résultats des plans Eco-phyto. Il est du reste paradoxal que cette étude ait été menée également sous l’égide des coopératives agricoles, fournisseurs des pesticides. Une vraie curiosité où le fournisseur demande à son client de l’aider à faire baisser son chiffre d’affaire.
Il ne s’agit pas ici de supprimer le maïs de la culture landaise, mais tout au moins nous pourrions réduire sa production à l’essentiel. Ainsi, nous savons que la transformation de maïs en agrocarburant par l’usine Abengoa de Lacq consomme entre 20 000 et 25 000 tonnes de maïs par an, soit l’équivalent du quart ou du cinquième de la production landaise. Or, ceci permet de fournir 0,2 % du carburant français et consomme autant d’eau en trois mois pour la seule irrigation, que la communauté urbaine de Bordeaux sur un an.
Nous rappelons avec force que les agriculteurs de cette zone sont généralement sur de petites exploitations, ils sont souvent étranglés par des conditions d’exploitations de plus en plus dures. Ils sont davantage victimes que le commun des mortels, puisque plus exposés aux pesticides. Il est donc nécessaire de les aider à sortir de l’impasse dans laquelle ils sont. Passer en bio, la seule solution viable, sera difficile pour beaucoup d’entre eux.
Pourtant des solutions existent, la bande à bonn’eau, collectif d’usagers du SIBVA a organisé une journée à St Lon-les-Mines. Journée co-organisée avec des agriculteurs installés en bio. Des maraîchers, des maïsiculteurs, et autres cultures. Ils ont montré comment ils travaillaient, en réseau, avec de la transformation, des circuits courts. Le système fonctionne, ces agriculteurs du XXI° siècle affirment mieux gagner leur vie, mieux que lorsqu’ils étaient en conventionnel. Ils affirment avoir des demandes qu’ils ne peuvent satisfaire par manque de collègues. L’ensemble des agriculteurs conventionnels du bassin d’Orist étaient invités. Et pourtant seulement quelques uns sont passés sur la route, histoire peut être de jeter un œil curieux, mais discret. Il y a manifestement des blocages, des peurs, et peut être des pressions amicales...
Les élus, les institutions.
Que l’on ne se méprenne pas, nous sommes pour une gestion publique de l’eau, mais cela n’empêche pas une vigilance de tous les instants.
Nous avons eu de très bons contacts au début avec l’ARS, puis avec nos questions de plus en plus pointues, voir gênantes, il semble que son enthousiasme se soit modéré. Le manque de personnel a été mis en avant…
Il est étonnant de remarquer qu’aucune structure d’eau potable non conforme ne soit détenue par le privé, surtout quand on connaît l’agressivité commerciale (au bon sens du terme) que déploient les trois sœurs de l’eau (Véolia, Suez, Saur). La volonté politique de mettre tout en gestion publique n’explique pas tout. Certaines communes viennent de renouveler leurs contrats, et le privé reste implanté dans les zones ’ propres ’, battant les syndicats publics comme le Sydec. Pouvons nous y voir une prudence du privé qui ne veut pas prendre de risques, alors que le public n’en aurait cure ? Il semble que la communication des structures publiques porte essentiellement sur le prix bas de l’eau. Singeraient elles mal le privé ?
Les zones non-conformes sont gérées par trois structures publiques (Sibva, Sinel, Sydec). Deux de ces trois syndicats ont pour président un agriculteur (SIBVA et SINEL). En signalant ce fait, nous ne mettons pas en cause l’intégrité de l’individu, mais le risque potentiel de conflits d’intérêts. Le plus important de ces syndicats, le Sydec, n’est plus une PME, c’est une entreprise intermédiaire avec ses presque 250 employés. Cette structure publique possède des prérogatives et des secteurs d’activités multiples (électricité, aménagement, EDCH, stations d’épuration,…). Comment les élus pilotent-ils cette entreprise de taille importante, avec un budget non négligeable ? Peut-on simplement, parce que l’on est élu, être en capacité de gérer une entreprise de cette taille ? Le risque de dysfonctionnement doit être envisagé.
En ce qui concerne l’inaction que nous reprochons à ces structures, rappelons que la loi impose au distributeur de demander une dérogation pour pouvoir distribuer l’eau dès le dépassement de la Limite de Qualité d’un ou plusieurs pesticides ou métabolites de plus d’un mois sur une année courante. Ceci aurait dû être fait dès la fin 2013. La dérogation obtenue oblige à mettre en œuvre une série de mesures d’informations, et de corrections. Or il a fallu attendre le début 2017, et l’action d’un petit nombre d’élus pour obtenir une réaction du seul SiBVA.
Les structures publiques vendent une eau non conforme à la loi, et donc au contrat passé avec les usagers, que l’on a tendance à appeler clients pour faire moderne. Or dans une relation normale Client/Fournisseur, le client peut se retourner contre le fournisseur si le produit n’est pas conforme au contrat passé, ou aux normes et lois en vigueur. Que se passerait il si même un petit pourcentage de ’clients’ entamait une démarche en remboursement, ou une ’class action’ ? Quel serait l’impact financier, et surtout en terme d’image de la structure publique ? Des actions individuelles de ce type sont en cours.
La loi impose la procédure Pollueur/Payeur, or ici, nous sommes dans un système Pollué/Payeur. Le consommateur est doublement lésé. Il y a actuellement une forte croissance (à deux chiffres) de la demande en produits biologiques. En payant la dépollution pour le comte de l’agriculture conventionnelle, le consommateur d’eau lui octroie une subvention scélérate indirecte. Partant de là, comment un agriculteur bio ne peut il se sentir pénalisé en s’imposant de ne pas utiliser de pesticides.
Dans les zones touristiques, de cures, et autres lieux sensibles (crèches, écoles, centres de soins, EHPAD...), comment des maires peuvent ils courir le risque de voir une image de marque ternie, faire courir un risque à leurs concitoyens avec une eau qui pourrait s’avérer dangereuse à terme ? Comment ne pas mettre en danger une fréquentation touristique ou de cure si les clients prenaient conscience que l’eau qu’on leur fournit est potentiellement dangereuse ? En affichant en mairie ou dans les écoles des relevés de l’ARS incomplets (mesures de périodiques sans pesticides), on ne rassurera que ceux qui veulent bien l’être.