“ Avec les nanotechnologies nous voyons se reproduire tous les problèmes liés aux OGM, mais à la puissance 10 : absence d’étude de risques et de cadre réglementaire, promesses mirobolantes d’où inertie du politique face aux industriels, ruée sur les brevets et confiscation de la matière inerte et vivante, exclusion complète du citoyen et absence totale de débat et de transparence ! Cette fois-ci encore et comme avec les OGM, la Commission européenne ne nous "déçoit" pas...” Christian Berdot.
Communiqué de presse des Amis de la Terre Australie
Nanotechnologies [1] : La Commission européenne préfère se plier aux exigences des industriels que de protéger ses citoyens et l’environnement
La définition des nanomatériaux adoptée par la Commission européenne va, dans les faits, permettre de ne pas réglementer des nano-produits qui présentent des risques et d’exposer ainsi les citoyens et l’environnement à ces risques.
Après de longs mois de consultations, la Commission européenne a publié sa définition des nanomatériaux. Cette définition est le résultat du travail intense de lobbying des industriels et rejette les conseils avancés par les scientifiques. Elle préconise comme seuil pour un contenu nanométrique, de 50% du nombre de particules dans un échantillon, ce qui est 333 fois plus élevé que le taux de 0,15% recommandé par le propre Comité Scientifique de la Commission européenne sur les Risques Sanitaires Emergents et Nouvellement Identifiés (SCENHIR). Elle confirme aussi les 100 nm comme limite supérieure pour les nanomatériaux. Elle va à l’encontre de l’avertissement de son Comité scientifique qui affirme qu’il n’y a aucune base scientifique pour cette limite et que des études toxicologiques anciennes ont démontré que des particules plus grandes présentaient une nano-toxicité spécifique.
La Commission recommande que sa définition sous-tende la future réglementation des nanomatériaux, y compris la décision de savoir si un produit donné doit ou non enclencher une évaluation sanitaire et environnementale lié à son caractère nano-technologique.
Si cette définition servait de base à la réglementation cela voudrait dire qu’une substance contenant 45% de particules d’une taille de 95 nm et 55% de particules d’une taille de 105 nm n’aurait pas à être soumise à la réglementation sur les nano-produits. Des scientifiques de renom admettent que les nanoparticules posent de nouveaux risques - que l’on ne constate pas dans des particules plus grandes de la même substance - même si seulement près de la moitié de l’échantillon est composé de nono-particules. Malgré cet avertissement clair, un tel mélange ne sera pas soumis à une évaluation des risques, ni ne devra être étiqueté.
Les fabricants de crèmes solaires, cosmétiques [2] , aliments, peintures, produits de nettoyage, additifs pour textiles et autres produits qui utilisent des ingrédients avec des particules de cette taille, n’auraient donc pas à procéder à des études de risques, lorsque l’utilisation de cette substance sous sa forme conventionnelle (grandes particules) a un historique connu et ses ingrédients n’auront pas à être étiquetés comme « nano ». Sur les lieux de travail, il ne serait donc pas nécessaire non plus que des fiches de données de sécurité donnent des informations spécifiquement sur de tels nanomatériaux.
La « dérogation » dans la définition de la Commission européenne qui stipule que « Lorsque cela est justifié par des inquiétudes pour l’environnement, la santé, la sécurité ou la compétitivité, un seuil peut être fixé en dessous de 50% » sera inefficace en pratique. En effet, c’est à la communauté qu’incombe la charge de la preuve, donc de prouver que non seulement certains nanomatériaux peuvent avoir des effets nocifs, mais aussi que certains nanomatériaux peuvent être nocifs dans certaines proportions spécifiques de particules présentes dans un échantillon, ce qui est une tâche énorme.
Etant donné les incertitudes, les failles dans les sciences de la sécurité, la variabilité des nanomatériaux et le manque d’informations sur les expositions dans la vie réelle, la démonstration d’effets nocifs associés à un nanomatériau particulier est déjà extrêmement difficile. L’identification de la quantité de nanoparticules dans un échantillon donné, qui cause de tels effets dépasse largement les connaissances scientifiques actuelles.
Les Amis de la Terre Australie sont très inquiets de voir que la Commission a soutenu le plafond de100 nm, comme limite supérieure, dans sa définition. Les Amis de la Terre Australie, comme d’autres ONG, ont demandé, en se basant sur le fait que des particules de plus de 100 nm font encore preuve de nano-toxicité - comme le prouvent plusieurs études - que la définition inclue les particules de taille allant jusqu’à 300 nm. Des toxicologistes de renom ont aussi été très clairs sur le fait que des particules de plus grandes tailles posent des nano-risques spécifiques. Voir les expériences du professeur Ken Donaldson, présentées à l’audit de la Chambre des Lords du Royaume Uni en 2009.
Il est plus que probable que les fabricants de nano-produits font revoir les formules de leurs produits pour profiter de ce règlement à l’étroite application, définissant les nanomatériaux comme étant compris en 1 et 100 nm. Nous savons déjà que des compagnies de cosmétiques européennes et de produits bioactifs nord-américaines revoient la formule de leurs produits pour exploiter les nouvelles propriétés optiques, chimiques et biologiques de nanomatériaux plus grands (c’est-à-dire mesurant plus de 100 nm) tout en échappant à l’obligation d’étiquetage et d’étude risque prévues pour les matériaux inférieurs à 100 nm.
Vu le caractère tout à fait incroyable du soutien apporté par la Commission européenne à une telle définition, nous nous posons vraiment la question de savoir si la réglementation sur les nanotechnologies actuellement en préparation aura la moindre crédibilité quant à ses prétentions de protéger les citoyens et l’environnement face à ces nouveaux nano-risques.
Suite au revers mondial des biotechnologies, le niveau très bas de confiance des citoyens dans la science et la gouvernance scientifique semblaient avoir amené les gouvernements à repenser leur approche des technologies émergentes. D’innombrables ateliers et conférences se consacrèrent à l’examen des causes de cet échec.
Afin d’éviter de renouveler l’expérience du génie génétique et pour gagner très en amont le soutien des citoyens pour les nanotechnologies, les gouvernements prirent des engagements sans précédent pour une gestion précoce des risques environnementaux et sanitaires et pour une prise en compte des aspects éthiques et sociaux, parallèlement aux risques principaux pour la sécurité. Cette fois-ci, nous jura-ton, les développements techniques ne seraient pas uniquement le reflet des intérêts industriels, mais seraient guidés par les choix et les priorités des citoyens et on s’engageait à trouver le juste équilibre.
Dès 2004, des scientifiques de renom de la Royal Society du Royaume Uni et les experts chargées de l’évaluation des risques pour la compagnie mondiale de réassurance Swiss Re unirent leurs voix pour demander des mesures de précaution fortes sur les nanotechnologies. La Royal Society demanda que les nanomatériaux soient soumis à la réglementation en tant que nouveaux matériaux qu’ils subissent des tests de sécurité avant d’être utilisés dans des produits, qu’il y ait un étiquetage obligatoire et que les usines et laboratoires de recherches manipulent les nanomatériaux comme des produits dangereux.
La compagnie Swiss Re a prévenu qu’avec les nanotechnologies, la tragédie de l’amiante dont les effets se sont manifestés des décennies après l’exposition au produit, pouvait se reproduire. Swiss Re a demandé explicitement que « Au vu des dangers pour la société qui pourraient être provoqués par la mise en place des nanotechnologies et étant donné l’incertitude actuelle qui domine les milieux scientifiques, le principe de précaution devrait être appliqué quelles qu’en soient les difficultés ».
La définition de la Commission européenne tourne au ridicule ses prétentions de gérer les risques nano-technologiques avec précaution. Les pays qui ne voudraient pas donner l’impression de brader la science aux industriels feraient mieux de ne pas l’adopter.
The full European Commission decision can be read at : http://ec.europa.eu/environment/chemicals/nanotech/pdf/commission_recommendation.pdf