Le verdict du procès de Colmar est rendu public le 14 octobre. Soixante et une personnes, Faucheurs et Faucheuses Volontaires, sont impliquées dans la destruction de pieds de vignes transgéniques.
Du côté des Institutionnels, on assiste depuis plusieurs mois à une forte mobilisation, avec de nombreux articles et interviews dans les media décrivant les opposants aux OGM comme des anti-sciences, des extrémistes, des obscurantistes.
Les propos sont souvent à la limite de la calomnie. Un magazine français n’hésite pas à citer notamment un chercheur qui demandait, il y a une dizaine d’années, un Tribunal de Nuremberg contre les opposants aux OGM, responsables, selon lui, de la mort de millions de personnes ! Anti-OGM égale Nazi, il fallait oser...
Heureusement, il y a quelques personnes pour sauver l’honneur de la recherche et Christian Vélot en fait partie. Voici un article scientifique dans lequel il explique les enjeux réels de cet essai de l’INRA à Colmar. Il a demandé aux Amis de la Terre France de le publier et les Amis de la Terre des Landes le publient aussi sur leur site.
A diffuser très largement !
Vigne transgénique de Colmar : quand les vilains faucheurs s’attaquent à une recherche innocente...
par Christian Vélot
Les essais de vigne transgénique de l’Inra de Colmar étaient prétendument réalisés à des seules fins de recherche et non à des fins commerciales, ce qui reste à être démontré : si la recherche fondamentale était valorisée au point de mobiliser deux misnistres (en l’occurence le ministre de l’agriculture et celui de la recherche) comme c’était prévu à Colmar le 15 septembre 2010 si ces essais n’avaient pas été neutralisés, ça se saurait ! Mais même en admettant qu’il s’agisse véritablement de recherche fondamentale, cela donne-t-il pour autant le droit de faire tout et n’importe quoi ?
Certes, il ne s’agit pas ici de plante-pesticides (ni productrice d’un insecticide, ni tolérante à un herbicide) comme le sont plus de 99% des OGM agricoles. Est-ce pour autant que cette vigne ne représente aucun danger environnemental au point de se permettre de faire ces essais en plein air ?
Ce qui n’est quasiment jamais évoqué, c’est que cette vigne, comme toutes les plantes transgéniques conçues pour résister à des virus, est un véritable réservoir à virus recombinants. Il s’agit de plantes transgéniques dans lesquelles le transgène est un gène viral. La présence de ce transgène protège la plante contre le virus en question ainsi que contre les virus apparentés (sans qu’on en connaisse vraiment les mécanismes intimes). Or, les virus ont une très grande capacité à échanger spontanément leur matériel génétique (phénomène de recombinaison) : les gènes viraux sont très recombinogènes. Par conséquent, quand cette plante est victime d’une infection virale, il peut se produire très facilement des échanges entre le matériel génétique (ADN ou ARN) du virus infectant et le transgène viral (ADN) ou sa version ARN, ce qui conduit à l’apparition de virus dits recombinants, dont on ne maîtrise rien et qui vont pouvoir se propager dans la nature. Il est là le vrai danger avec ces plantes ! Avec des plantes conventionnelles, une telle situation ne peut se produire que si la plante est infectée simultanément par deux virus. Avec ces plantes transgéniques, au contraire, un seul virus suffit et on augmente donc considérablement la probabilité de ces événements. De tels essais à ciel ouvert font donc courir des risques considérables. C’est d’ailleurs très "drôle" de constater la contradiction de l’INRA sur cette question des risques : dans un article du Monde daté du 16 août 2010, l’INRA dit à propos des faucheurs : "Ils contribuent à répandre la peur en évoquant des risques environnementaux qui n’existent pas sur cet essai, alors que l’INRA essaie de déterminer, en toute indépendance, la pertinence et les risques éventuels de ce type de technologie dans la lutte contre le court noué". L’INRA fait des essais pour déterminer les risques mais affirme que les risques n’existent pas ! C’est fantastique de constater à quel point certains chercheurs ont le don de connaître le résultat de leurs expériences avant de les avoir faites...
Encore une fois, la planète n’est pas une paillasse de laboratoire. Pourquoi ne pas faire ces essais au moins sous serre dans les conditions de confinement appropriées ? Toute demande de manipulation d’organismes génétiquement modifiés en laboratoire faisant courir le moindre risque d’apparition de virus recombinants se verrait exiger un confinement de niveau 2 minimum (il existe essentiellement trois niveaux — 1, 2 et 3 — de confinements pour la manipulation d’OGM, le confinement étant d’autant plus contraignant que le chiffre est plus élevé). Le plein air, c’est le confinement zéro ! Ce n’est pas une bâche dans le sol pour isoler le terre de la parcelle ni la suppression des inflorescences qui peuvent garantir la non propagation d’éventuels virus recombinants. Un essai en plein air doit être une simulation et ne doit pas faire courir de risques : quand on fait une simulation d’une attaque chimique dans le métro pour entraîner la coordination des secours, on met tous les ingrédients mais on ne met pas l’agent chimique quand même...
Par ailleurs, on nous dit qu’il n’existe pas de solution actuellement contre le court noué, si ce n’est que tuer les nématodes (ces vers microscopiques du sol qui transportent le virus et le transmettent au pied de vigne) avec des produits nématicides fortement toxiques. Certes, il n’y a pas de solution directement sortie des laboratoires, mais il existe en revanche des pratiques culturales qui permettent de s’affranchir du court noué telles que la culture de plantes nématicides (ou nématifuges), c’es-à-dire des plantes qui secrètent naturellement par leurs racines des substances qui affaiblissent ou chassent les nématodes. Par ailleurs, sans même avoir recours à ces plantes, certains viticulteurs ne sont pas ou peu embêtés par le court noué. Pourquoi ? Posons-nous la question. Voilà de véritables pistes à exploiter qui conduiront inévitablement à des stratégies subtiles, durables et moins invasives que l’artillerie lourde des OGM. Cet exemple soulève une fois de plus la nécessité de développer la recherche participative à laquelle les viticulteurs contribueraient activement et où leur implication ne se réduirait pas à siéger dans un comité de suivi de la mise au point d’une technologie qui leur sera servie clés en mains pour qu’ils s’empressent d’oublier leurs bonnes vieilles pratiques paysannes respectueuses de l’environnement. Faut-il qu’une solution à un problème agronomique sorte d’un labo pour qu’elle mérite d’être qualifiée de progrès ? N’oublions pas que ce ne sont pas les chercheurs, ni même les agronomes, qui ont inventé l’agriculture, mais les paysans qui sont d’ailleurs les premiers généticiens du monde.
S’il est clair que ces essais n’étaient qu’un cheval de Troie pour l’ensemble des essais en plein air et pour l’acceptation des OGM et des biotechnologies en général, ce « fauchage » a également le mérite de soulever la question fondamentale du choix des orientations et des stratégies de recherche publique (ou de ce qu’il en reste). Il est urgent de contrebalancer les politiques actuelles de recherche publique trop exclusivement orientées vers des intérêts mercantiles à court terme pour remettre la recherche au service du bien commun.
Les faucheurs ne sont pas des anti-science mais des alter-science.
Christian Vélot
Docteur en Biologie Généticien moléculaire à l’Université Paris-Sud 11
Auteur de « OGM : tout s’explique » (Eds Goutte de Sable) et de « OGM, un choix de société » (Eds de l’Aube)