Propos liminaires
Les cotisations sociales subissent actuellement les tirs croisés de tout un tas d’économistes, de politiques, de grands patrons. Rebaptisées charges sociales, voire charges patronales, elles sont accusées d’être une des causes principales de la non compétitivité française, et de tous les maux de notre industrie. D’autres mais aussi souvent les mêmes les jugent responsables de la faiblesse de la croissance. Certains jusqu’au-boutistes les associent aussi à la paresse du salarié français. Le fantasme de l’excès de protection rendrait moins volontaire pour sortir du chômage. [1]
Les mots ont leur importance : remplacer cotisations sociales par charges sociales, voire par charges patronales a un sens, un objectif très clair. En effet, substituer charges à cotisations fait glisser la compréhension vers un concept de lourdeur, d’entrave. Remplacer sociale par patronale, fait sous entendre que ce sont les patrons, ceux qui entreprennent, ceux qui font la richesse, qui sont accablés.
Nous allons essayer dans ce document de démêler le vrai du faux, de voir ce qu’il en est exactement. Quelles pourraient être les pistes pour le futur, voir si les cotisations sociales ne pourraient pas être l’amorce du financement du salaire universel de base.
Avant tout débat, il est intéressant de montrer le poids des prestations sociales dans le revenu des ménages. Le -figure 1 donne l’évolution de le part des prestations sociales sur le revenu brut moyen disponible des Français. La courbe est issu d’un rapport de l’INSEE [2]. La croissance de ces dernières années des prestations sociales est imputable au baby boomers qui prennent leur retraite, et à la montée du chômage.
Définitions
Voici la définition des cotisations sociales par l’INSEE [3] :
’Ensemble des versements que les individus et leurs employeurs effectuent aux administrations de sécurité sociale et aux régimes privés. Elles se décomposent en cotisations à la charge des employeurs, cotisations à la charge des salariés, et cotisations à la charge des travailleurs indépendants et des personnes n’occupant pas d’emploi.’
L’assiette (la méthode de prélèvement des cotisations sociales) se fait donc essentiellement sur la masse salariale, en fait sur la valeur ajouté des entreprises. L’entreprise au sens large est le seul endroit où l’on créait de la richesse. Nous n’entrerons pas ici dans le vaste, et vague débat, pour savoir si le coiffeur, l’hôpital ou la clinique privée créaient de la richesse, ou n’en créent pas.
Les cotisations sociales permettent de financer toute ou partie ce que l’on nomme les prestations sociales, définies ainsi par l’INSEE [4] :
’Les prestations sociales (ou transferts sociaux) sont des transferts versés (en espèces ou en nature) à des individus ou à des familles afin de réduire la charge financière que représente la protection contre divers risques.
Elles sont associées à six grandes catégories de risques :
- La vieillesse et la survie (pensions de retraite, pensions de réversion, prise en charge de la dépendance).
- La santé (prise en charge totale ou partielle de frais liés à la maladie, à l’invalidité, aux accidents du travail et aux maladies professionnelles).
- La maternité-famille (prestations familiales : prestations liées à la maternité, allocations familiales, aides pour la garde d’enfants).
- La perte d’emploi (indemnisation du chômage) et les difficultés d’insertion ou de réinsertion professionnelle.
- Les difficultés de logement (aides au logement).
- La pauvreté et l’exclusion sociale (minima sociaux : revenu minimum d’insertion - RSA, minimum vieillesse, etc.).’
Pour plus de détails, nous vous conseillons la lecture des chapitres de Wikipédia sur ces deux entités [5], [6].
Il est important d’admettre que les cotisations sociales sont le financement des prestations sociales. De la juste génération des dépenses nécessaires dépendent les prélèvements. Le déficit chronique est lié davantage à l’incapacité à prélever qu’à la réduction des dépenses. Depuis 40 ans, on fait la chasse au ’ gaspi ’ ; s’il restait encore des économies substantielles à faire, cela se saurait. A moins que ceux qui, depuis 40 ans, nous expliquent qu’ils les font soient des incompétents.
Notons au passage, l’ambiguïté d’une posture. Lorsque l’état allège pour partie les cotisations sociales au travers d’une mesure d’encouragement à l’embauche, soit il la compense en puisant sur d’autres prélèvements, soient il ne la compense que partiellement, ou pas du tout, et aggrave ainsi le déficit de la caisse concernée.
Historique
Chacun devrait le savoir, notre protection sociale est l’œuvre du CNR (Conseil National de la Résistance). A la fin de la deuxième guerre mondiale d’importantes réformes ont structuré une protection sociale préexistante. La volonté était d’unifier un grand nombre d’organismes divers, plus ou moins indépendants. L’état avait déjà avant la guerre mis en place une structure, mais celle ci était fragile. Des historiques complets existent, un rappel succinct mais assez complet est disponible sur le site de la sécurité sociale [7].
La protection sociale génère le besoin de financement. Les cotisations sociales constituent la solution retenue pour financer cette protection sociale au travers des prestations sociales.
Le régime général comprend l’ensemble des ayants droit, mais quelques catégories font exceptions. Dès le départ, plusieurs familles d’ayants droits potentiels ont refusé d’être mêlées au pot commun. L’état a choisi d’assurer lui même les retraites de ses fonctionnaires. Ainsi, contrairement à ce qu’il est admis couramment, un fonctionnaire n’a pas de retraite, mais une pension civile. De même, les agriculteurs ont conservé leur propre régime au travers de la MSA. Le bloc des professions libérales, commerçants, et artisans a refusé de cotiser pour les salariés, préférant rester entre gens de bonne compagnie. Pour ces deux dernières catégories, le refus d’intégrer le régime général a démontré sa grande pertinence. En effet, les gains de productivité en agriculture, l’évolution sociale avec la massification du commerce a considérablement réduit le nombre d’actifs donc de cotisants, les retraites de ces catégories sont aujourd’hui extrêmement faibles. S’il ne fallait retenir qu’une chose de ces mauvais choix, ce serait que la solidarité est beaucoup plus résiliente, plus efficace quand elle est massive. Mais le corporatisme, la peur de l’autre, sont toujours de mauvais réflexes.
Petite histoire
Au début des années 80, voici ce qu’a conté le patron des patrons de la plasturgie au jeune enseignant que j’étais. A cette époque pour savoir si une entreprise était viable, on utilisait un outil rudimentaire mais qui donnait un ordre d’idée rapide et relativement fiable. En divisant le chiffre d’affaire par le nombre d’employés, on obtenait un ratio. Si ce ratio dépassait une limite inférieure, alors l’entreprise était viable. En dessous, il fallait licencier ou trouver rapidement des commandes. Alors que j’interrogeais le responsable patronal sur l’origine des limites, il compléta son explication par une autre : la détermination du ratio, était vieux comme le CNR. C’est cet outil (mais en plus perfectionné) qui avait, entre autre, permis d’établir le mode de financement de la protection sociale.
En effet, au sortir de la guerre, le problème du mode de financement des prestations sociales devait être résolu. Comment faire ? On sait que l’entreprise créée la richesse, et cette richesse créée se trouve dans la valeur ajoutée par l’entreprise. On s’aperçut également que, quelle que soit la production , les ratios définis plus haut, étaient proches, que l’on soit dans une banque, une entreprise sidérurgique, ou toute entreprise quelconque. Pour le même chiffre d’affaire, on avait globalement toujours besoin du même nombre de travailleurs (on disait comme cela à l’époque). Rappelez vous les pools de secrétaires, de comptables, dans les vieux films de l’époque. La solution était simple, il suffisait de prélever les prestations sociales sur la masse salariale. Ainsi celui qui gagnait beaucoup participerait beaucoup, et celui qui gagnait peu participerait également, mais toujours proportionnellement à son salaires, et tous bénéficieraient de la protection collective. Si chacun devait recevoir en fonction de ses besoins, chacun devait contribuer solidairement, suivant ses capacités.
Cette solution contenait un piège. A cette époque, on ne se doutait pas que deux révolutions allaient tout chambouler. La première fut l’automatisation. L’automatisation a permis progressivement de transférer une part importante du travail de l’homme vers la machine. On commence par les travaux très répétitifs, ou très pénibles. Puis les automatismes devenant de plus en plus efficaces, on transfère des tâches de plus en plus complexe. Dans un deuxième temps, la première révolution de l’informatique est apparue, celle des grands systèmes, celle de la bombe du général, celle qui permis le saut en avant des banques. Or les machines produisent, mais ne percevant pas de salaire, ne sont pas soumises aux cotisations sociales.
Au tout début des années 80, mon interlocuteur me montrait des données significatives. Pour un ratio de 0,8 dans une entreprise classique de plasturgie, on obtenait un ratio de 5 pour un bureau d’étude célèbre, et 8 pour une entreprise de vente par correspondance sur catalogue du Nord de la France. Autrement dit, dès cette époque, pour un chiffre d’affaire identique, l’entreprise qui fabriquait versait quasiment 10 fois plus de cotisations sociales qu’une entreprise de distribution qui vendait ces produits sur catalogue. Et mon interlocuteur m’annonçait que la deuxième révolution informatique, celle des petits systèmes, des PC, qui apparaissait, allait encore accentuer les écarts.
Nous sommes dans un paradoxe étonnant. Pour devenir compétitif, il faut optimiser les coûts de production, donc développer l’automatisation, et l’informatisation, chaque fois que le coût était plus faible à qualité de production croissante. Cela implique une réduction de la masse salariale, donc des cotisations sociales. En réduisant la masse salariale, on augmente le chômage, donc les besoins en cotisations sociales. Dans un monde où le travail global pour l’humain diminue, c’est l’impasse. Dans le même temps, des entreprises de la finance, obtiennent des ratios incroyables, et ne payent que peu de cotisations, ceci accentué par le jeu des sièges sociaux implantés dans les paradis fiscaux. Le gouvernement implore les entreprises de production d’embaucher. Mais en embauchant, alors qu’elle pourrait automatiser, l’entreprise s’affaiblit.
En conclusion, ce patron des patrons, qui était favorable aux cotisations sociales, prophétisait la chose suivante : Si rien n’est fait pour modifier l’assiette des cotisations sociales, alors vous verrez exploser cette bombe.
Idées reçues et autres manipulations
Il existe un objectif clair porté par les lobbies du monde de l’ultralibéralisme. Il faut réduire toute forme de prélèvement de la valeur ajoutée que ce soit par la masse salariale, ou de ce que l’on nomme les prélèvements sous forme de taxes et d’impôts.
Tout est bon pour faire passer les réformes dites nécessaires afin d’améliorer la productivité et autres calembredaines.
Première rhétorique : la productivité française n’est pas bonne. Les études sont claires, si nous comparons ce qui est comparable. La productivité finale de l’heure travaillée et salariée en France est excellente si nous la comparons aux pays équivalents [8]. En conséquence la faible productivité de la France à cause des cotisations sociales et des salaires trop élevés est une affirmation dénuée de sens. A moins de vouloir réduire la qualité de vie de nos concitoyens sur celui du modèle chinois, ou roumain. Je ne doute pas que cela fasse le bonheur du trader de la city, quoique nous verrons plus loin, que ce pourrait être un système à courte vue.
La productivité est bonne, mais les charges chaque jour plus fortes étranglent les entreprises. Encore une affirmation mensongère. Ici aussi de nombreuses études démontrent que ce que l’on appelle les charges, dans un étrange fourre tout, ne varient pas de façon astronomique à la hausse, mais bien au contraire le poids des cotisations sociales tendrait plutôt à baisser. [9]
Les charges sont les plus fortes en France, cette fois l’affirmation est véridique, et cela ne date pas d’hier [10]. En conséquence, les cotisations sociales, et autres prélèvements sont élevés en France. Que la productivité soit bonne et le pays attractif, avec cette option, va à l’encontre de la doxa ultralibérale. L’explication viendrait de la grande qualité :
- de la formation,
- des infrastructures,
- de la R&D,
- de l’état d’esprit, et autres facteurs,
Tout ceci contrebalance largement l’inconvénient. Il serait donc intéressant de préserver cet avantage.
Pour étayer cette proposition, que ceux qui ont de la famille ou des connaissances dans nos pays voisins posent quelques questions. En ce qui concerne l’Espagne, on sait maintenant que le système de santé publique est au bord de l’implosion [11], en Italie allez voir le prix d’une consultation de spécialiste qui est non remboursée bien entendu. Quand à l’Angleterre, j’ai souvenir d’un apprenti gendre, inscrit sur liste d’attente, qui devait patienter un an pour se faire extraire des dents de sagesse dans le public. Nous l’avons fait opérer durant ses 3 semaines de vacances en France. Nous n’évoquerons pas les faillites de plus en plus nombreuses des fonds de pension, ou d’assurances privées. La solidarité publique est la solution moderne et efficace.