Article de Sud-Ouest sur le premier "marché du carbone" européen qui va être créé en Aquitaine et communiqué des Amis de la Terre qui décode une information très superficielle...
Le premier marché du carbone sera aquitain - Article de Sud-Ouest
En pleine tourmente financière, les banques se ruent sur les forêts et le carbone - communiqué des Amis de la Terre
Lundi 12 septembre 2011 - Par JACQUES RIPOCHE
LANDES Un projet, opérationnel en 2012, sera présenté vendredi lors de l’assemblée générale des sylviculteurs
L’ assemblée générale annuelle du Syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest aura lieu vendredi prochain à Morcenx (Landes). Le président Bruno Lafon ne manquera pas d’y dresser l’inventaire des questions qui restent en suspens dans un contexte post-Klaus où le moral est loin d’être au beau fixe. Toutefois, le thème général de la réunion - « Quel avenir pour la forêt ? » - apportera aussi des éléments de nature à procurer quelque réconfort.
Ainsi, le projet de marché aquitain du carbone - une première nationale et peut-être européenne - prendra effet dès 2012. L’association Aquitaine Carbone, créée le 16 mai dernier, en est l’instrument. Due à l’initiative du Conseil régional, cette association a également pour parrains le Centre régional de la propriété forestière (CRPF), l’Office national des forêts (ONF), la Caisse des dépôts. Elle est dotée d’un comité scientifique (Inra, CNRS, Xylofutur, Goodplanet…) qui a déjà entamé ses travaux. Une enveloppe de 500 000 euros est en voie de constitution pour lancer la machine.
Compensation volontaire
Le marché visé dans cette affaire est principalement celui de la « compensation volontaire des émissions de gaz à effet de serre », explique Olivier Degos, responsable du pôle agriculture, tourisme et développement durable au Conseil régional. Il peut intéresser des entreprises industrielles ou du tertiaire, des institutions diverses, soucieuses de réduire leur « empreinte carbone ».
Le projet cible non seulement le « volontariat » mais aussi le « territoire ». Autrement dit : « Pour que les crédits carbone aient de la valeur, il faut qu’ils soient vérifiables. » Ce sera le rôle du comité scientifique que de déterminer les itinéraires de plantations susceptibles de stocker au mieux le carbone. Le territoire concerné, dans un premier temps du moins, recouvre les 200 000 hectares de forêt à reconstituer après le passage de la tempête Klaus et des scolytes. Il s’agit des hectares éligibles par ailleurs aux aides du plan chablis.
Dans la pratique, l’association Aquitaine Carbone achèterait les droits carbone aux sylviculteurs, les ferait certifier, avant de les revendre aux entreprises intéressées. À cet égard, une étude de marché est en cours afin d’évaluer le potentiel des clients. Quant au prix de la tonne de carbone ainsi commercialisée, il apparaît pour l’heure fluctuant et, partant, d’un niveau assez bas.
« Normal », estime Christian Pinaudeau, secrétaire général du Syndicat des sylviculteurs. « Ce marché n’est pas encore structuré. » Mais, à terme, il le voit bien générer « plusieurs millions d’euros par an » en faveur de la sylviculture régionale.
Inciter à replanter
Béatrice Gendreau, conseillère régionale déléguée à la forêt et présidente de l’association Aquitaine Carbone, confirme : l’idée de base est bien d’« inciter les sylviculteurs à replanter » en leur apportant un « complément de revenu » dans le contexte difficile que l’on sait. Même si elle admet que ce marché du carbone « n’est pas très palpable pour le moment », elle se dit convaincue que « ça peut fonctionner ».
Décodage
Communiqué des Amis de la Terre
Paris, le 13 septembre 2011- En préparation des négociations sur le climat qui auront lieu en fin d’année à Durban (Afrique du Sud), et en pleine tourmente financière, le secteur banquier, avec en tête BNP Paribas [1], lance une offensive pour réclamer l’intégration des forêts dans le marché du carbone. Les Amis de la Terre s’opposent fermement à cette dérive qui ne repose sur aucune base scientifique et place l’avenir des forêts du monde, et des communautés qui en dépendent, dans les mains d’entreprises irresponsables.
Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et le secteur bancaire publient aujourd’hui un nouveau rapport [2], avec une série de recommandations, pour que les négociations sur la lutte contre la déforestation et le réchauffement climatique « s’ouvre efficacement aux flux de la finance privée [3] ». Au centre des débats, les banques espèrent pouvoir accéder à un marché potentiel de plusieurs dizaines de milliards d’euros par an [4] avec la création de crédits-carbone forestiers REDD [5] qui pourraient être achetés par les entreprises et les États ne respectant pas leurs obligations de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Or, comme l’explique Sylvain Angerand, chargé de campagne pour les Amis de la Terre et ingénieur forestier, la compensation carbone est une imposture scientifique : « Il n’est pas possible de compenser la libération de carbone d’origine fossile (pétrole, charbon...), qui s’est formé pendant plusieurs millions d’années, par un stockage très temporaire dans les forêts. Les grands incendies en Amazonie, en Russie ou en Asie du Sud-Est, qui se multiplient chaque année, nous le rappellent de façon évidente ».
En réalité, l’enjeu pour le secteur privé n’est pas tant de participer à la lutte contre les changements climatiques que de transformer la crise écologique en opportunité économique comme l’explique Yann Louvel, référent de la campagne Responsabilité des acteurs financiers pour les Amis de la Terre : « Si BNP Paribas, et les autres banques qui ont co-signé ce rapport, voulaient vraiment s’engager pour le climat elles arrêteraient de financer d’une part des secteurs qui contribuent à la déforestation comme les monocultures de palmiers à huile ou de soja [6] et d’autre part des projets extrêmement controversés de centrales à charbon ou d’extraction de pétrole à partir de sables bitumineux [7]. »
Alors que le secteur financier s’écroule, les banques sont à la recherche de nouveaux placements présentés comme beaucoup plus sûrs et plus rentables : c’est ce qui explique la tendance croissante à la financiarisation des ressources naturelles et des biens communs comme l’atmosphère. Après la conférence de Durban en décembre, c’est le Sommet de Rio en juin qui est en ligne de mire des banques : « Les offensives du secteur financier pour mettre la main sur l’atmosphère et la biosphère se multiplient et il est urgent de s’y opposer car les conséquences écologiques et sociales sont désastreuses » comme l’explique Sylvain Angerand qui poursuit : « Nous observons de très près les projets pilotes et nous constatons de graves dérives : restriction d’accès, expulsion de communautés pour planter des arbres transgéniques à croissance rapide, ou encore, embauche de milices privées pour protéger les investissements de ces entreprises [8] ».
Les Amis de la Terre appellent donc les banques privées, et en particulier BNP Paribas, à faire face à leurs responsabilités en arrêtant de financer des projets qui contribuent à la déforestation et au dérèglement du climat plutôt que de vouloir en tirer doublement profit en jouant au pompier-pyromane.
Conclusion des Amis de la Terre des Landes :
Alors que les sylviculteurs du massif gascon sont en difficultés, la "solution" des marchés carbone risque d’être bien pire que le mal.
D’autant plus que les marchés carbone ont été mis en place pour justement permettre aux entreprises de ne pas remplir leurs obligations de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Après deux ouragans en 10 ans, est-ce que les forestiers gascons peuvent se permettre de soutenir un système spéculatif qui aggrave les dérèglements climatiques ?
Nous posons la question.