L’Aquitaine lance le premier "Fonds carbone" français. Voilà ce qu’on peut lire dans le Journal du Club Bois & Forêts, sous la plume d’Alain Vidalies, alors député des Landes, Vice-Président du groupe d’études sur la Forêt de l’Assemblée Nationale, Co-Président du Club :
"Les marchés volontaires et obligatoires constituent une opportunité pour la forêt et toute la filière regarde avec intérêts les perspectives ouvertes.
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La directive européenne constitue à ce titre une avancée et les initiatives se multiplient en Europe. Cette dernière, qui avait brillamment ignoré la forêt au moment du Traité de Rome essaye de rattraper ce retard et envisage enfin d’élaborer une politique forestière comme en témoigne le récent livre vert de la Commission. Mais il ne s’agit pas simplement d’élaborer une politique forestière réglementaires, mais une politique forestière sonnante et trébuchante.
La directive de 2003 prévoit que 50% des sommes récoltées doivent être affectés à des actions vertueuses. La séquestration du carbone par la forêt constitue incontestablement une action vertueuse majeure et rend la filière légitime pour revendiquer une partie importante des futurs crédits issus des quotas CO2 dans le cadre du marché obligatoire.
Le marché volontaire est un autre outil à utiliser et je me félicite de l’action menée par la Région Aquitaine. Cette dernière touchée par la tempête Klaus et les scolytes envisage de financer la replantation en faisant appel au marché volontaire. Il y a là une piste d’avenir porteuse d’espoir pour un territoire qui a été marqué au cœur. En se saisissant du dossier du CO2, le Club se fixe pour objectif, quelque soient nos engagements et nos convic- tions d’essayer d’imposer une politique forestière au nom d’un intérêt national supérieur. Il s’agit là d’une tâche exaltante."
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Voilà ce qu’écrit le Mouvement Mondial pour les forêts tropicales (http://wrm.org.uy) sur ces mécanismes financiers imposés par les Etats-Unis pour affaiblir le protocole de Kyoto et favoriser la spéculation :
La spéculation sur les émissions de carbone
Proposé pour la première fois dans les années 1960, le commerce des émissions de carbone a été développé par des économistes nord-américains, par des négociants en actifs dérivés et en matières premières, par des organisations écologistes « ultra-vertes » et par des alliances commerciales de Washington.
En 1997, les pressions du gouvernement de Bill Clinton réussissent à obtenir que le Protocole de Kyoto devienne un ensemble d’instruments du commerce du carbone. Al Gore, chargé de présenter à Kyoto l’ultimatum des États-Unis, est devenu par la suite un membre actif de ce marché. Dans les années 2000, les États-Unis rejettent le Protocole de Kyoto et l’Europe prend l’initiative de devenir l’hôte de ce qui est aujourd’hui le principal marché du carbone du monde, le « Système européen d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne » (ETS-EU).
La démarche internationale pour résoudre la crise climatique consiste toujours à construire un seul marché mondial du carbone valant des milliards de dollars. Les marchés du carbone sont supposés rendre moins chères les réductions de la pollution due aux gaz d’effet de serre décrétées par les gouvernements ; en même temps, ils préservent surtotu les profits des entreprises.
Comme l’a déclaré ouvertement le directeur exécutif d’American Electric Power en octobre 2009, « si quelqu’un dit que la seule raison pour laquelle American Electric Power veut [investir dans un projet de compensation d’émissions dans les forêts boliviennes] c’est qu’elle ne veut pas fermer ses centrales au charbon, ma réponse est : Bien sûr, parce que nos centrales au charbon satisfont nos clients et que le rapport coût-bénéfice est très bon ! ».
En Europe, dix industries parmi les plus fortes consommatrices de combustibles fossiles font des profits extraordinaires grâce à l’excédent de permis de pollution que les gouvernements leur offrent gratuitement ; ces profits dépassent le budget total que l’Union européenne affecte à l’environnement. De plus, le marché du carbone offre aux investisseurs un moyen d’absorber l’excédent de capital. Bref, s’ils répondent en apparence aux exigences publiques d’action en faveur du climat, les marchés du carbone servent en fait les intérêts des élites.
L’impératif étant de générer des profits, les banquiers, les négociants en matières premières, les agents de produits financiers dérivés et les économistes néoclassiques (qui, avec les gouvernements du Nord, ont dominé le développement des marchés du carbone) ont utilisé toute leur ingéniosité pour faire en sorte que le nouveau produit dispose de liquidités, qu’il soit comparable à d’autres marchandises, qu’il soit normalisé, et qu’il puisse être vendu rapidement dans une large sphère géographique. En même temps, ils se sont efforcés d’empêcher la transition vers un système indépendant des combustibles fossiles.
(...)
Le marché du carbone n’est pas une forme de verdissement du capitalisme, ni une réforme comptable imposée « de l’extérieur » à des entreprises réticentes ; il s’agit plutôt d’une initiative néolibérale typique (même si elle est spectaculairement mal conçue) dont le but est de créer de nouvelles possibilités de tirer profit des crises contemporaines.
Extrait de : “Mercados de carbono. La neoliberalización del clima”, Larry Lohmann, 2012, (http://wrm.org.uy/temas/REDD/mercados_de_carbono.pdf)
En se lançant dans une telle aventure, le Conseil Régional d’Aquitaine se laisse aveugler par le mirage de la finance facile et commet des erreurs lourdes pour l’avenir :
- En tant que collectivité locale reconnue, il donne une légitimité à une des escroqueries les plus dangereuses du moment, car non seulement les marchés carbone ne luttent pas contre les changements climatiques, mais ils les aggravent !
- De plus, partout dans le monde des associations écologistes, des mouvements syndicaux et sociaux, des mouvements de Peuples Indigènes luttent contre l’introduction des forêts et de l’agriculture dans ces mécanismes carbone. Et l’Aquitaine montre l’exemple inverse !
On ne sauvera pas la forêt gasconne en favorisant des mécanismes qui aggravent encore les changements climatiques. Notre forêt ne supportera pas un ou deux autres Klaus !