Article publié dans Libération sous le titre : "Economie verte : leurre est grave à Rio de Janeiro" (14 juin 2012)
RÉCIT
La marchandisation de la nature est au cœur des enjeux du sommet officiel organisé par l’ONU et du off qui s’ouvre aujourd’hui au Brésil.
Par ELIANE PATRIARCA
Durant dix jours, Rio de Janeiro vit au rythme de la Terre. Le coup d’envoi de la Conférence des Nations unies sur le développement durable de la planète a été donné mercredi dans la cité brésilienne. Vingt ans après le Sommet de la Terre fondateur qui s’était déjà tenu à Rio, c’est la plus grande conférence de l’ONU jamais organisée, avec plus de 50 000 participants. Ministres et sherpas du monde entier s’activent à modeler un projet d’accord en discussion depuis des mois. Mais pour l’heure, seul un tiers des propositions fait consensus. Les négociations se poursuivront jusqu’au sommet officiel des chefs d’Etat et de gouvernement, du 20 au 22 juin.
Purification.
En attendant, débute aujourd’hui à l’Aterro do Flamengo le Sommet des Peuples, organisé par quelque 200 réseaux internationaux de paysans (comme la Via Campesina), d’indigènes, écolos (Amis de la Terre, Greenpeace), sociaux (Attac)… Le Sommet des peuples, non reconnu par l’ONU, mais financé en partie par le gouvernement brésilien, se veut un espace de protestation, avec une cible majeure : l’économie verte, concept « green washing » très controversé qui est au cœur de la conférence officielle. Pour le collectif organisateur de ce sommet off, l’économie verte est un terme trompeur. « Nous voyons avec méfiance l’avancée du secteur privé dans des domaines universels comme l’eau et l’air qui devraient être assurés par le secteur public », a expliqué hier Fatima Mello, porte-parole du sommet. « Le Programme des Nations unies pour l’environnement [Pnue, ndlr] présente l’économie verte comme une solution aux crises économique, écologique et sociale. Mais il cache une marchandisation accrue de la nature », dénonce Juliette Renaud de la branche française des Amis de la Terre.
En 2010, le rapport commandé par l’ONU sur l’économie des écosystèmes et de la biodiversité, coordonné par l’économiste de la Deutsche Bank, Pavan Sukhdev, a « chiffré » des services rendus par la nature (purification de l’eau, pollinisation des plantes par les abeilles…). Et ouvert ainsi la voie à l’idée que ces services naturels fournis « gratuitement » seraient mieux reconnus et préservés si on leur donnait un prix. « Les banques et les fonds d’investissement voient la nature comme un capital. Or, c’est un bien commun ! déplore Juliette Renaud. Mercredi prochain à Rio, un groupe de banques associées au Pnue-Finance (1) lancera d’ailleurs une "Déclaration sur le capital naturel". » En donnant un prix à la nature, on en fait un nouveau marché, craignent les Amis de la Terre. « L’exemple du C02 transformé en actif financier et des marchés carbone dont seuls les financiers et les pollueurs ont profité au détriment du climat montre bien les dérives auxquelles on s’expose, ajoute Juliette Renaud. Pour les entreprises, la compensation volontaire des dégradations est surtout un moyen d’éviter une législation sociale et environnementale contraignante. »
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En exemple, les Amis de la Terre citent la création en France de la première réserve d’actifs naturels par la filiale de la Caisse des dépôts et consignations, la CDC Biodiversité. En 2008, elle a acquis 360 hectares d’anciens vergers sur le territoire de la Crau en Camargue. Et s’est engagée à les réhabiliter pour revenir à la formation steppique originelle, un écosystème unique au monde abritant une faune remarquable. Pour financer cette restauration, la CDC Biodiversité propose à des aménageurs d’infrastructures autoroutières ou industrielles d’acheter des certificats de compensation pour les dégâts environnementaux générés par leurs projets.
« Érosion ».
« On légitime la destruction d’un écosystème au nom de la restauration d’un autre, observe Juliette Renaud. Mais ils ne sont pas interchangeables, ils n’ont par exemple pas les mêmes fonctions sociales. Et au lieu d’enrayer l’érosion, on l’aggrave ! » Mercredi, lors de l’ouverture du sommet officiel, une manifestation contre « la marchandisation accrue de la nature et du vivant » est prévue à Rio. Elle devrait être relayée par des actions dans le monde entier.
(1) Partenariat public-privé entre le Pnue et plus de 180 institutions du secteur financier.
Voir aussi sur le thème des Partenariats Public Privés le site de Bankwatch (en anglais) consacré exclusivement à ce thème et des exemples européens : http://bankwatch.org/public-private-partnerships/
A propos de finance carbone avec la CDC, le Conseil Régional d’Aquitaine donne le mauvais exemple, voir l’article « Marché du carbone aquitain et...spéculation bancaire ! »
N’oubliez pas non plus de soutenir la « Pétition pour libérer l’ONU de l’emprise des multinationales »